L’UNIVERS D’UN ÉCRIVAIN
Catherine Poulain
Auteure d’un premier roman qui l’a propulsée malgré elle au rang d’écrivain à succès, cette grande discrète n’a cessé de parcourir le monde au gré des saisons, enchaînant les travaux agricoles et maritimes. Elle nous accueille aujourd’hui dans sa maison du Médoc, dans l’estuaire de la Gironde, point de chute essentiel pour cette aventurière.
Le TER Aquitaine quitte doucement Bordeaux un jeudi ensoleillé d’août. En laissant le temps aux voyageurs de longer les vignes, de rêver aux vins fins du Médoc pendant les brefs arrêts à Margaux ou Pauillac. Catherine Poulain nous attend au terminus de la ligne, à Lesparre, une tarte aux pommes dans les mains. Elle nous invite illico à embarquer dans son antique Dyane bleue aux jantes jaunes. Un véhicule, fleuri et décapotable, bien pratique pour emporter les feuilles à la Déchetterie et convoyer du bois, encore capable de pousser jusqu’à 120 kilomètres à l’heure si l’on ne craint pas qu’il y ait « tout qui vibre ».
Cette femme secrète rappelle qu’elle est l’une des cinq filles d’un pasteur engagé et militant et d’une professeure de géographie qui lui a appris à lire. Elle a vu le jour vers Strasbourg, connu une enfance au gré des presbytères, dans les HautesAlpes, l’Ain, à Martigues et Manosque. La maison où elle nous conduit est celle des étés de son enfance. Celle de ses grands-parents. Celle où elle a sculpté Le Grand Marin. Son ancrage malgré la froideur des hivers où le ciel est bas.
Dans le jardin, les visiteurs sont accueillis par une odeur de lavande et par Mozart. Un imposant et placide chien noir et blanc que rien n’a l’air d’inquiéter. « Avec Le Grand Marin, je
n’ai pas compris ce qui s’est passé ! », s’amuse Catherine Poulain en se moquant de son héroïne qui « pleurniche » et lui ressemble beaucoup. Une Lili qui quitte Manosque pour partir pêcher en Alaska, sans rien savoir des complexités de la chose et sans carte verte. En se sentant invulnérable et prête à en découdre avec les éléments malgré son physique de moineau.
GRANDS ESPACES
Puissant et juste, le coup d’essai de l’ancienne ouvrière agricole s’est écoulé à 230 000 exemplaires, a accumulé les prix littéraires, emballé lecteurs et libraires, avant d’être traduit dans douze pays, de l’Angleterre à la Russie en passant par l’Allemagne, l’Italie, Israël ou la Chine dont elle rentre tout juste, après un séjour de neuf jours pour un festival. À l’instar de Lili, Catherine raconte, en roulant une cigarette, qu’elle a rapidement eu envie d’aller voir le monde de ses propres yeux, après avoir étudié jusqu’au bac pour faire plaisir à ses parents. Elle a commencé tôt à pratiquer l’auto-stop. En 1980, à 20 ans, pas encore « très délurée », la voilà qui saisit l’opportunité de se rendre à Hong Kong avec un ami.
Elle s’y fait voler son argent, trouve un boulot dans un bar sur le port, tout en prenant des notes dans ses carnets. Déjà avide d’écrire, de créer « un monde onirique qui se mélange au réel » , de coucher sur le papier la frénésie de la ville portuaire avec « ses tours immenses et miroitantes, sa baie pleine de jonques ».
Rentrée en France, elle pointe un temps à l’usine à Marseille où elle met de côté tout ce qu’elle gagne pour pouvoir s’exiler presque un an en Asie. « L’important c’était de s’épuiser, de se perdre » ,
lance-t-elle. Une envie qui l’a portée jusqu’aux grands espaces, en Colombie britannique, au Mexique, au Guatemala. Sur la côte ouest des États-Unis, à Port Townsend, avec « son grand vent et ses maisons victoriennes, ses gens paisibles et ouverts », où elle a repeint des bateaux sur un chantier naval.
Avec Le Coeur blanc, elle prouve aujourd’hui qu’elle n’est pas l’auteure d’un seul livre. On prend de plein fouet la violence et la beauté d’une histoire tragique ancrée dans le paysage de la vallée de l’Aygues. Une terre où se croisent Rosalinde, la rousse qui a peur des hommes et du feu qui brûle en elle, « de ce trop qui la mange et la tue, de ce vide qui veut l’avaler », et Mounia, la fille du Sud qui se saoule de soleil, de bière et de travail en rêvant de Gibraltar.
Son nouveau roman, assure-t-elle, n’a rien d’autobiographique bien que ses héroïnes soient saisonnières comme elle l’a longtemps été. Il confirme l’évidence de sa force narrative, sa manière de parler du tragique de la vie, de mettre en scène des personnages toujours à la recherche d’un combat, d’une place. Le Coeur blanc, elle aurait préféré qu’il s’intitule « Les abricots du rebus » ou « Terre brûlée », explique-t-elle devant la cheminée de son bureau. Là où elle boit volontiers le soir « une petite bière » pour se réchauffer. Là où elle a sérieusement douté pendant l’écriture, en ayant sans cesse peur de « tomber dans la facilité ». Après un an à prendre des notes, il lui a fallu « les mettre en ordre sans se louper, en trouvant le fil ». Elle reconnaît qu’il est parfois inquiétant de se retrouver seule avec ses personnages et son chien, qu’il faut faire attention « à ne pas perdre le nord ».
LES MÊMES BRUITS DE BÊTES
La dame est du genre hyperactive. Elle peine à rester assise devant son ordinateur portable, a besoin d’une discipline sévère pour résister à l’envie de sortir s’occuper de la vigne ou arracher des ronces dans le jardin. Ses premiers pas littéraires ne datent pas d’hier, poursuit- elle devant un café et une part de tarte aux pommes. Elle n’avait pas encore 30 ans quand elle s’est installée ici au cours d’un « hiver extraordinaire ».
Elle ne s’était alors pas contentée de restaurer des meubles, mais avait aussi tapé sur la grosse machine, qui se trouve désormais en haut de l’escalier en bois, « une histoire déjà pas gaie sur un voyage en Asie à la recherche d’un dénuement qui mène à la folie ». Le manuscrit, elle l’avait adressé aux éditions Des femmes, chez Gallimard et au Seuil. Seule des trois maisons à avoir répondu en lui expliquant qu’elle avait voulu « tout dire, mais qu’en littérature, il faut choisir ! »
À l’étage, elle a fait sienne la plus petite des trois chambres. Un lieu où elle dort l’été, fenêtre grande ouverte, afin de retrouver les mêmes bruits
de bêtes qu’elle entendait la nuit enfant. La porte est ornée d’un miroir étonnant qu’elle a fabriqué avec du bois, des plumes, la photocopie d’une photo et une peau de lapin séchée – lapin qu’elle indique avoir mangé ! À l’intérieur, on trouve accroché un crabe géant rapporté de la mer de Béring dans l’océan Pacifique. Sur le lit, un exemplaire de
La Fin de l’homme rouge de Svetlana Alexievitch. Sur le petit bureau, trois pages arrachées à un exemplaire du numéro de Lire de décembre 1997. Celles où Mario Vargas Llosa délivre de précieux conseils aux débutants.
Au mur, à côté des carnets de notes qui lui sont « bien utiles pour retrouver des sensations », elle a punaisé une phrase de Gertrude Stein répétant : « To write is to write is to write is to write. » Quelques volumes chéris et maintes fois ouverts sont à portée de main. Comme le superbe Armen de Jean-Pierre Abraham,
L’Offrande lyrique de Rabindranath Tagore dont l’ardeur l’impressionne. Le reste de la poésie, d’Éluard à Michaux, elle la conserve dans un carrelet loin de tout sur l’estuaire de la Garonne, à 17 kilomètres de là. Depuis qu’elle a terminé de nettoyer le texte du Coeur blanc, en essayant de l’affiner sans en enlever le côté spontané, Catherine Poulain termine l’installation de la maisonnette qu’elle vient d’acheter à quelques mètres de celle-ci. Elle s’est occupée de la petite maçonnerie, de l’isolation et des plafonds. De peindre la cuisine d’un rouge éclatant alors qu’elle ne mange pas assez, qu’elle n’a jamais très faim et que cuisiner l’ennuie.
LA PURETÉ ET LA SIMPLICITÉ
En nous ramenant à la gare fenêtres ouvertes, Catherine Poulain lâche, en changeant les vitesses de la Dyane, qu’elle ne sait toujours pas ce qu’est un écrivain, qu’elle n’a pas l’intention de se prendre au sérieux. « Pourquoi écrit-on ? », se demande-t-elle. En évoquant « la liberté de celui ou celle qui écrit pour soi, dans sa solitude, comme dit si bien Rilke, et, par conséquent, cette trouille de vendre son âme en signant son premier contrat… Est-ce que la création n’est pas comme le cliché du photographe qui se dévoile dans une chambre noire ? Et que tout mettre au grand jour ne brûle pas tout simplement le travail en cours ? »
Le TER pour Bordeaux s’annonce sur le quai et Catherine Poulain a encore besoin de s’activer au jardin, de « faire du bois » pour l’hiver. Le lendemain, elle enverra un message pour aller encore plus loin, au fond des choses. Inquiète de ne pas avoir parlé de l’essentiel, et « pas assez de littérature », de n’avoir montré « qu’une vieille maison poussiéreuse et des toiles d’araignées ». Insistant pour ajouter qu’elle préfère « la poésie à tout, car elle nous accompagne à chaque instant ». Qu’elle aime « la pureté et la simplicité des écrivains du Nord, Rosa Liksom, Agota Kristof, Tarjei Vesaas… Que dire des Islandais ! Il y a de vraies merveilles… Mais aussi certains Japonais ou Chinois, cette délicatesse et cette sensibilité, la nature si présente. Mais c’est tellement restrictif de nommer des auteurs » . En revanche, elle trouve notre littérature actuelle « souvent beaucoup trop cérébrale et parfois nombriliste ».
« L’idée » par elle-même ne l’intéresse pas, elle préfère « l’univers sensible. Le ressenti et non le réfléchi ». Tout ce qui éclate à chaque page de ses livres.