Revoir ses classiques
Quand on décide de découvrir ou de redécouvrir un incontournable de la littérature, l’embarras du choix est tel qu’on risque de perdre la tête. Petit guide pour s’y retrouver dans les librairies.
Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse ? En édition, la question n’est pas si simple. Car, pour un même livre, les différentes versions disponibles ne se valent pas. Laquelle préférer ? Et à quel prix ? Plutôt que de théoriser dans le vague, passons immédiatement à la pratique avec l’exemple d’Alcools, titre enivrant s’il en est, qui, à l’occasion des 100 ans de la mort de Guillaume Apollinaire, sort ou ressort dans tout un tas de flacons. Scrooge, Harpagon et autres avares ne tergiverseront pas : eux téléchargeront gratuitement sur le Net le PDF de ce texte tombé dans le domaine public. Mais les papivores vieux jeu ? Ceux qui détestent lire sur écran et refusent de tourner la page de la page qu’on tourne ? Ceux, enfin, qui aiment prendre des notes ou en ont besoin pour leurs études ? Cela fait du monde.
Les collégiens et lycéens seront souvent dirigés par leurs enseignants vers le « Librio » , sans doute le livre le plus économique du marché ( 2 euros). En licence de lettres, on aura peut-être besoin d’une version plus fouillée. Le « GF » à 4 euros est alors une bonne option : outre le texte d’Alcools, on y trouve un solide dossier réalisé par Gérald Purnelle, professeur à l’université de Liège. Dans le même ordre de prix ( 4,85 euros), avec une couverture plus belle et une préface signée du grand Paul Léautaud (qui fut très ami avec Apollinaire), le « Folio » est un rival sérieux. Le Livre de Poche, sans Purnelle ni Léautaud, est, lui, vendu à 4,90 euros. On voit que, dans ce domaine, la concurrence fait rage. N’oublions pas que Noël approche, et qui dit Noël dit cadeaux, papier bible et
Vers qui se tourner quand on a peu de moyens et néanmoins le goût du beau ?
reliures de qualité. Les lecteurs les plus classiques pourront plonger dans Alcools en achetant le tome des oeuvres poétiques complètes d’Apollinaire en Pléiade ( à 59 euros, neuf, jusqu’à moitié moins chez certains bouquinistes). Si La Pléiade est indémodable et inusable, elle manque un peu de fantaisie – c’est le trench Burberry des bibliothèques bourgeoises.
Cet hiver, les couturières de Gallimard rhabillent Alcools dans un beau livre format poche à 35 euros, regroupant un fac-similé de l’édition originale de 1913 aquarellé par Louis Marcoussis, une quarantaine de gravures à l’eau-forte du même Marcoussis et une étude du chartiste JeanMarc Chatelain, directeur de la Réserve des livres rares à la Bibliothèque nationale de France. On est ici dans le fin du fin, mais il y a encore (beaucoup) plus sophistiqué. Depuis 2012, les éditions des Saints Pères, créées par Jessica Nelson et Nicolas Tretiakow, proposent aux plus fortunés – et à ceux qui ne comptent pas – des facsimilés de manuscrits. Bien que publiant au compte-gouttes, leur catalogue commence à être copieux : Hugo, Cocteau, Baudelaire, Fitzgerald, Céline, Verne ou Pagnol ont déjà eu les honneurs de leurs splendides coffrets confectionnés à la main, qui font tourner de l’oeil les esthètes. Tirée l’an dernier à 1 000 exemplaires numérotés, leur version d’Alcools d’Apollinaire est toujours disponible en ligne à 169 euros. Outre la curiosité d’y découvrir la calligraphie du poète, on a accès aux épreuves corrigées, ratures et ajouts. Un vrai plaisir de lecture pour les érudits solvables.
Mais vers qui se tourner quand on a peu de moyens et néanmoins le goût du beau ? Car, entre le prêt- à- porter et la haute couture, on a constaté un grand écart. L’Archipel, conscient de cette demande trop souvent insatisfaite, a lancé en 2011 la « Bibliothèque des classiques », qui compte une soixantaine de références publiées au format 110 x 160 millimètres avec jaquette, cahiers cousus, dorure sur trois côtés, tranchefile et marque- page. Dans les dernières parutions, citons Le Procès de Kafka, Sans famille de Malot,
Cyrano de Bergerac de Rostand et, donc,
Alcools d’Apollinaire. Un livre de luxe vendu pour seulement… 12 euros ! Ou comment être bibliophile sans se ruiner. Difficile à croire, alors qu’on écrit tout cela en toute sobriété. Fin de la tournée des
Alcools : on tient là le meilleur moyen de relire Apollinaire sans modération.