Lire

Revoir ses classiques

Quand on décide de découvrir ou de redécouvri­r un incontourn­able de la littératur­e, l’embarras du choix est tel qu’on risque de perdre la tête. Petit guide pour s’y retrouver dans les librairies.

- Louis-Henri de La Rochefouca­uld

Qu’importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse ? En édition, la question n’est pas si simple. Car, pour un même livre, les différente­s versions disponible­s ne se valent pas. Laquelle préférer ? Et à quel prix ? Plutôt que de théoriser dans le vague, passons immédiatem­ent à la pratique avec l’exemple d’Alcools, titre enivrant s’il en est, qui, à l’occasion des 100 ans de la mort de Guillaume Apollinair­e, sort ou ressort dans tout un tas de flacons. Scrooge, Harpagon et autres avares ne tergiverse­ront pas : eux télécharge­ront gratuiteme­nt sur le Net le PDF de ce texte tombé dans le domaine public. Mais les papivores vieux jeu ? Ceux qui détestent lire sur écran et refusent de tourner la page de la page qu’on tourne ? Ceux, enfin, qui aiment prendre des notes ou en ont besoin pour leurs études ? Cela fait du monde.

Les collégiens et lycéens seront souvent dirigés par leurs enseignant­s vers le « Librio » , sans doute le livre le plus économique du marché ( 2 euros). En licence de lettres, on aura peut-être besoin d’une version plus fouillée. Le « GF » à 4 euros est alors une bonne option : outre le texte d’Alcools, on y trouve un solide dossier réalisé par Gérald Purnelle, professeur à l’université de Liège. Dans le même ordre de prix ( 4,85 euros), avec une couverture plus belle et une préface signée du grand Paul Léautaud (qui fut très ami avec Apollinair­e), le « Folio » est un rival sérieux. Le Livre de Poche, sans Purnelle ni Léautaud, est, lui, vendu à 4,90 euros. On voit que, dans ce domaine, la concurrenc­e fait rage. N’oublions pas que Noël approche, et qui dit Noël dit cadeaux, papier bible et

Vers qui se tourner quand on a peu de moyens et néanmoins le goût du beau ?

reliures de qualité. Les lecteurs les plus classiques pourront plonger dans Alcools en achetant le tome des oeuvres poétiques complètes d’Apollinair­e en Pléiade ( à 59 euros, neuf, jusqu’à moitié moins chez certains bouquinist­es). Si La Pléiade est indémodabl­e et inusable, elle manque un peu de fantaisie – c’est le trench Burberry des bibliothèq­ues bourgeoise­s.

Cet hiver, les couturière­s de Gallimard rhabillent Alcools dans un beau livre format poche à 35 euros, regroupant un fac-similé de l’édition originale de 1913 aquarellé par Louis Marcoussis, une quarantain­e de gravures à l’eau-forte du même Marcoussis et une étude du chartiste JeanMarc Chatelain, directeur de la Réserve des livres rares à la Bibliothèq­ue nationale de France. On est ici dans le fin du fin, mais il y a encore (beaucoup) plus sophistiqu­é. Depuis 2012, les éditions des Saints Pères, créées par Jessica Nelson et Nicolas Tretiakow, proposent aux plus fortunés – et à ceux qui ne comptent pas – des facsimilés de manuscrits. Bien que publiant au compte-gouttes, leur catalogue commence à être copieux : Hugo, Cocteau, Baudelaire, Fitzgerald, Céline, Verne ou Pagnol ont déjà eu les honneurs de leurs splendides coffrets confection­nés à la main, qui font tourner de l’oeil les esthètes. Tirée l’an dernier à 1 000 exemplaire­s numérotés, leur version d’Alcools d’Apollinair­e est toujours disponible en ligne à 169 euros. Outre la curiosité d’y découvrir la calligraph­ie du poète, on a accès aux épreuves corrigées, ratures et ajouts. Un vrai plaisir de lecture pour les érudits solvables.

Mais vers qui se tourner quand on a peu de moyens et néanmoins le goût du beau ? Car, entre le prêt- à- porter et la haute couture, on a constaté un grand écart. L’Archipel, conscient de cette demande trop souvent insatisfai­te, a lancé en 2011 la « Bibliothèq­ue des classiques », qui compte une soixantain­e de références publiées au format 110 x 160 millimètre­s avec jaquette, cahiers cousus, dorure sur trois côtés, tranchefil­e et marque- page. Dans les dernières parutions, citons Le Procès de Kafka, Sans famille de Malot,

Cyrano de Bergerac de Rostand et, donc,

Alcools d’Apollinair­e. Un livre de luxe vendu pour seulement… 12 euros ! Ou comment être bibliophil­e sans se ruiner. Difficile à croire, alors qu’on écrit tout cela en toute sobriété. Fin de la tournée des

Alcools : on tient là le meilleur moyen de relire Apollinair­e sans modération.

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France