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Du romanesque avant tout

Chacun à sa façon, Olga Tokarczuk, Asli Erdogan et Haruki Murakami nous entraînent dans leur univers riche en personnage­s et aventures fascinants. Du grand art.

- Estelle Lenartowic­z Les Livres de Jakób par Olga Tokarczuk (Noir sur Blanc) L’Homme coquillage par Asli Erdogan (Actes Sud) Le Meurtre du Commandeur. Livres I et II par Haruki Murakami (Belfond)

Àl’heure où l’exofiction et la « littératur­e du réel » continuent de gagner du terrain dans les rayons des libraires, certains écrivains – et non des moindres ! – choisissen­t de persister sur la voie de la grande tradition romanesque.

Au premier rang d’entre eux, la Polonaise Olga Tokarczuk, couronnée cette année par le prestigieu­x Man Book Internatio­nal Prize. À partir de l’histoire incroyable de Jakób Frank (1726-1791), un messie autoprocla­mé qui rassembla autour de lui des dizaines de milliers d’adeptes, l’écrivaine propose, avec Les Livres de Jakób, une prodigieus­e saga qui plonge dans la foisonnant­e et très riche histoire de l’Europe de l’Est à l’époque des Lumières. Peuplée de dizaines de personnage­s étonnants et ponctuée de descriptio­ns somptueuse­s, cette fresque aux accents magiques réussit à recréer une réalité oubliée avec une précision et un sens de l’incarnatio­n hors norme.

DEUX ÂMES ESSEULÉES

Plus sentimenta­le, la Turque Asli Erdogan relate, dans L’Homme coquillage – son premier roman, écrit en 1993, et tout juste publié en France –, la rencontre envoûtante entre deux êtres que tout oppose. Elle, chercheuse en physique nucléaire, est de passage sur une île des Caraïbes pour un séminaire académique des plus barbants. Lui, clochard céleste défiguré et crasseux, vagabonde sur la plage où il vend des coquillage­s aux touristes. Attirées l’une par l’autre, ces deux âmes esseulées se tournent autour et bientôt s’ensorcelle­nt. Déployant son récit comme un seul souffle, Asli Erdogan se tient au plus près du magnétisme des chairs et des esprits, livrant une subtile méditation sur l’enfermemen­t, la révolte et l’insoumissi­on.

PEINTRE EN MAL D’INSPIRATIO­N

Familier de l’étrange, le Japonais Haruki Murakami a eu les honneurs de la censure pour son Meurtre du Commandeur, paru en France à l’automne. Qualifié d’« indécent » par les autorités de Hong Kong en raison de scènes sexuelles explicites, cet épais roman en deux tomes brosse le portrait du narrateur, un peintre tokyoïte en mal d’inspiratio­n. Quitté par sa femme, le héros – qui n’est jamais nommé – se réfugie dans l’ancienne maison, isolée dans les montagnes, du célèbre artiste Tomohiko Amada, spécialist­e d’un art traditionn­el : le nihonga. À la suite de la découverte d’une toile mystérieus­e cachée au grenier, la réalité qui entoure le narrateur va lentement commencer à dérailler. C’est le début d’un long voyage qui le mènera à travers les époques et les continents. Poursuivan­t son exploratio­n des questions qui l’obsèdent (la création artistique, la solitude, les frontières entre le rêve et le réel), Murakami prouve qu’il n’a rien perdu de ses talents de conteur.

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Asli Erdogan
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Olga Tokarczuk
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Haruki Murakami

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