Le penseur universel

Historien et professeur d’histoire, Yuval Noah Harari n’en finit pas d’étonner le monde des lettres par l’extraordinaire accueil dont ses ouvrages ont fait l’objet. Coup de projecteur sur les raisons du succès planétaire de cet auteur israélien.

De mémoire d’éditeur et de libraire, on n’a jamais vu cela : trois livres d’un même auteur figurer simultanément dans un palmarès des meilleures ventes. Yuval Noah Harari a réussi cet exploit pendant plusieurs semaines. L’historien israélien s’affiche désormais avec deux titres, dont celui qui l’a révélé : Sapiens, une brève histoire de l’humanité, au classement depuis cent trente-cinq semaines – soit plus de deux ans et demi ! L’auteur y explique comment l’Homo sapiens

l’a emporté sur les autres hominidés par sa capacité à tisser des mythes fédérateurs. Il aurait aussi pu nous livrer les clefs de son succès. Car il a également occupé les trois premières places des ventes au Québec, et a été tout aussi fringant en Grande- Bretagne. Bref, en trois ans, en incluant ses deux livres suivants, Homo deus. Une brève histoire du futur et son récent 21 leçons pour le xxie siècle,

il a vendu 16 millions d’exemplaires dans le monde. Dont un million en France.

Le secret de ce faiseur de best-sellers ? « Un incroyable talent de vulgarisateur, suggère Anne Michel, son éditrice française, chez Albin Michel. Yuval prend le lecteur par la main, l’amène vers la complexité avec une limpidité absolue, sans jamais rabaisser les faits, les notions, les concepts dont il s’empare. » Sans doute, aussi, l’auteur réussit-il la prouesse de mettre en garde (sur les bouleversements de l’intelligence artificielle, notamment) tout en rassurant sur nos peurs les plus tangibles. Un exemple : le terrorisme. Depuis le 11 septembre 2001, rappelle-t-il dans son dernier volume, les terroristes tuent chaque année environ 25 000 personnes en moyenne dans le monde, dont une cinquantaine « seulement » en Europe,

une dizaine aux États-Unis et en Chine. Ils sèment la peur – c’est le moteur de leur action – mais ils tuent moins que le sucre (3,5 millions de victimes) ou que la bataille de la Somme, en 1916. En quatre mois, celle-ci a fait un million de victimes, dont 300 000 morts.

Ainsi fonctionne la méthode Harari : passer d’une matière à l’autre, enchaîner les comparaisons, avec cette patte et ce style délié reconnaissables entre tous. Rien n’était acquis lorsque l’éditrice Anne Michel s’est enthousiasmée pour la traduction en anglais de ce livre. Un best-seller en Israël ne fait pas le printemps de l’édition en France. Encore moins dans le monde. Le projet – écrire une histoire de l’humanité – était pour le moins ambitieux. Voire démesuré. Dans notre vieux pays où les mandarins veillent au grain, un jeune freluquet inconnu risquait de se faire étriper à tout moment. Il n’en a rien été. « Sa puissance intellectuelle exceptionnelle, son intensité extrême, sa jeunesse ascétique », observe son éditrice, l’ont épargné. Ces ingrédients sont au coeur du pouvoir de séduction de celui que The Economist a gratifié du titre de premier « intellectuel global du xxie siècle ».

UN HOMMAGE À LA PRISE DE RISQUE

Ce succès planétaire est un hommage à la prise de risque. Celle des éditeurs qui se sont saisis de ce texte d’un genre nouveau, refusé par beaucoup d’autres. Mais aussi, d’abord, celui de l’auteur. Yuval Noah Harari s’est en effet emparé de ces thèmes par hasard. Enseignant à l’université hébraïque de Jérusalem, spécialiste de l’histoire militaire médiévale, passé par Oxford, le jeune historien a accepté de donner un cours sur un sujet boudé par ses collègues : l’histoire de l’humanité, ignorant qu’il avait là le matériau de son futur succès. Pour l’anecdote, un autre ancien d’Oxford, spécialiste de l’influence des croisades sur l’architecture médiévale en Europe, était devenu célèbre au Proche-Orient, puis dans le monde. Son nom : T.E. Lawrence, le futur colonel Lawrence, instigateur de la « révolte arabe » et auteur des Sept Piliers de la sagesse. Une autre saga…

LE SECRET DE CE FAISEUR DE BEST-SELLERS ? « UN INCROYABLE TALENT DE VULGARISATEUR »