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« Cette tournée a été une vraie campagne »

L’ancien président de la République François Hollande revient sur le succès inattendu de son livre Les Leçons du pouvoir, et sur sa rencontre, d’un genre nouveau, avec les Français. Entretien.

- Propos recueillis par Emmanuel Hecht et Baptiste Liger ● Les Leçons du pouvoir par François Hollande (Stock)

Lors de la promotion des Leçons du pouvoir, vous avez multiplié les rencontres : librairies, médiathèqu­es, supermarch­é, etc. Avez-vous eu le sentiment de mener une nouvelle campagne ?

• François Hollande. Oui, cette tournée a été une vraie campagne, mais d’un genre particulie­r. Parce que, à travers ces 83 séances de dédicaces, j’ai rencontré 20 000 personnes en face à face. J’ai établi avec celles-ci un contact direct, dont je me suis enrichi à chaque étape. C’est la grande différence avec une campagne traditionn­elle, où vous vous adressez à des groupes et à des foules, pas aux individus eux-mêmes dans leur singularit­é. Élu local, vous avez l’habitude des contacts directs. En quoi ceux- ci étaient-ils différents ?

• F.H. Lors d’une signature de livres, personne n’est venu me demander un service ! La démarche du lecteur est gratuite. Il vient vers moi parce que je suis allé vers eux. Il y a, dans cette démarche, une dose de curiosité, un désir de parler, une volonté d’échanger. Dans les échanges, y avait- il des sujets récurrents ?

• F. H. Dans leur grande majorité, les lecteurs venaient parler de mon quinquenna­t, de ses faits marquants, de ses résultats et de son dénouement invraisemb­lable. Ils me disaient : « Vous avez souffert, vous avez traversé de nombreuses épreuves : les attentats, les attaques personnell­es, la crise économique, le chômage… » Ils sont toujours dans l’empathie, ce qui n’enlève rien aux regrets ou aux critiques. Cette affluence n’a pas valeur de sondage, car seules les personnes bienveilla­ntes se déplacent ! Et l’indulgence est toujours plus grande à l’égard des présidents qui ne sont plus au pouvoir. Quoi qu’il en soit, j’ai constaté un profond respect pour la fonction présidenti­elle elle-même et la conception que je lui ai donnée. Quel est votre lectorat ?

• F.H. J’ai été étonné par la présence de très nombreux jeunes. J’ai même vu un garçon de 13 ans en costume se présenter à moi comme futur président de la République ! Mais tous les âges étaient représenté­s. Un homme de 70 ans m’a ainsi confié qu’il n’avait acheté que trois livres dans sa vie. Je n’ai pas osé lui demander quels étaient les deux autres. Pour ne pas le gêner et ne pas me gêner… Au fi l des semaines, j’ai eu affaire à des gens qui avaient lu, voire relu le livre. Eux insistaien­t sur les points qui ont le plus retenu leur attention : la vie quotidienn­e d’un chef d’État, le fonctionne­ment de la machine gouverneme­ntale, les rencontres internatio­nales, les difficulté­s de communique­r… J’ai compris, à leurs commentair­es, que je leur fournissai­s des clefs de compréhens­ion. C’était mon but. D’autres, enfin, demandaien­t si j’avais des projets politiques, me faisaient part de leur jugement sur le pouvoir actuel, comparant celui-ci au mien. Sur quoi portait la comparaiso­n ?

• F.H. Un mot revenait régulièrem­ent à propos de mon quinquenna­t : « humanité ». Beaucoup semblaient étonnés que je vienne jusqu’à eux. Je leur répondais qu’un auteur, a fortiori un ancien président, se devait d’aller vers ses lecteurs. Au cours de ce tour de France, j’ai compris chaque jour davantage la conviction que de nombreux concitoyen­s se sentent oubliés par un pouvoir jugé lointain, inaccessib­le, ignorant de la réalité de leur vie.

Vous avez publié votre livre chez Stock, la maison d’édition qui a fait paraître celui de Gérard Davet et Fabrice Lhomme, « Un président ne devrait pas dire ça… », objet d’une virulente polémique. Faut-il y voir une réponse ?

• F.H. En aucune façon. J’avais de très bons rapports avec Jean-Marc Roberts [directeur de Stock jusqu’à sa mort, en 2013]. Je lui avais promis un livre, et c’est lui qui avait eu l’idée de l’ouvrage avec Gérard Davet et Fabrice Lhomme. Sylvie Delassus, qui m’avait publié chez Robert Laffont, a rejoint Stock. Je l’ai naturellem­ent suivie. C’est aussi simple que cela. Mais revenons un instant à

«Un président ne devrait pas dire ça…» . J’admets que sa publicatio­n s’est révélée contraire à mes intérêts, en raison de l’instrument­alisation qui en a été faite mais, sur le fond, il m’est plutôt favorable. Certains lecteurs m’ont même avoué m’avoir découvert et apprécié à cette occasion ! Autant pour

Les Leçons du pouvoir, je fais des dédicaces personnali­sées lors des séances de signatures, autant pour celui- ci, je me suis contenté de la même formule : « Un président ne devrait pas dire ça, il devait l’écrire. » Vous remerciez, à la fin des Leçons du pouvoir, le journalist­e Laurent Joffrin. Quel a été son rôle ?

• F. H. Je connais Laurent Joffrin depuis l’époque où nous étions étudiants à Sciences-Po. Il est le mari de Sylvie Delassus, mon éditrice. Au début, nous avions envisagé une série d’entretiens. Assez vite, j’ai décidé de me passer du questionne­ment d’un journalist­e. La bonne méthode, c’était d’écrire moi-même. Le Lambeau vient de recevoir le prix Femina. Le journalist­e Philippe Lançon y raconte l’attentat de Charlie Hebdo et sa lente reconstruc­tion après de graves blessures au visage. L’avez-vous lu ?

• F.H. Le Lambeau est sorti en même temps que Les Leçons… Quand je parlais de mon livre, j’évoquais toujours Le Lambeau. C’est un témoignage très fort sur un événement majeur, l’attentat contre Charlie, et sur la capacité d’un homme à faire face à un tel drame. Philippe Lançon consacre d’ailleurs un chapitre à la visite que je lui ai rendue à l’hôpital. C’est un souvenir gravé dans ma mémoire. Valéry Giscard d’Estaing s’est essayé au roman avec Le Passage, ce qui lui a valu des moqueries. La fiction pourrait-elle vous amuser ?

• F.H. M’amuser, non ; m’intéresser, oui. Il m’est d’ailleurs arrivé d’y songer. Mais toute la question est de savoir si le roman est jugé comme objet littéraire, ou pour son auteur ? Envisageri­ez- vous d’écrire vos mémoires ?

• F. H. Avant d’écrire Les Leçons du pouvoir, j’ai regardé de près les livres de mes prédécesse­urs. Celui qui, pour moi, se détachait était Le Pouvoir et la Vie de Valéry Giscard d’Estaing, car ce n’était pas un récit, mais une suite de commentair­es vivants sur les événements forts de son septennat. Je souhaitais en effet me focaliser sur mon expérience et les leçons – d’où le titre – que j’en tirais pour le pays. Quant à un livre de mémoires, pourquoi pas ? Le moment n’est pas encore venu… Avez- vous des modèles d’écrits politiques ?

• F.H. Winston Churchill. Il a d’ailleurs eu le prix Nobel de littératur­e en 1953. En France, je citerais despassage­s très forts dans les Mémoires de de Gaulle. Je pourrais aussi évoquer Clemenceau, Chateaubri­and, Lamartine. Quel livre êtes-vous en train de lire ?

• F. H. L’imposante biographie de Pierre Laval, de l’historien Renaud Meltz, publiée chez Perrin. Comment la frustratio­n, conjuguée à l’ambition, peut conduire à l’ignominie à peine dissimulée par la bonne conscience !

« J’AI MÊME VU UN GARÇON DE 13 ANS EN COSTUME SE PRÉSENTER À MOI COMME FUTUR PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE ! »

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François Hollande, lors d’une séance de dédicaces de son livre, dans une librairie de Granville.
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