Revues du monde
Le Salon de la revue s’est tenu à Paris, du 9 au 11 novembre. Public nombreux et pléthore de nouvelles publications : un tel dynamisme fait du bien quand le mot « crise » s’est imposé comme une fatalité. Focus sur deux revues, Lettres de Lémurie et DO-KRE-I-S.
Plus que les prix d’automne, la foule qui se presse ce samedi 10 novembre dans la halle des Blancs-Manteaux, au coeur du quartier du Marais, met en joie. On voit les potentiels lecteurs s’arrêter devant les stands des 180 revues représentées. D’avant-garde ou de teneur plus classique, publiées par une association, une maison d’édition ou une grande institution, les revues artistiques et culturelles, politiques ou de sciences humaines, éditées en France métropolitaine, en Outremer, au Québec, en Belgique ou encore en Suisse, s’exposent.
Une question turlupine. Pourquoi crée-t-on une revue aujourd’hui, dans un contexte éditorial marqué par la morosité des ventes et la surproduction ? Sur le site d’Ent’revues – l’association organisatrice de l’événement en partenariat avec les revues Diacritik et En attendant Nadeau –, la rubrique « Éloge de la revue » donne quelques pistes. « Fût-elle mince et étroite, elle [la revue] promet de se multiplier. Elle est l’antichambre du recueil de poèmes, du roman, de la thèse. Elle éduque le lecteur à l’émergence insatiable de la littérature. Sans elle, le livre est un pet-de-nonne. Ouvroir d’expérimentations, galerie oxygénante où se trame
la création in vivo, elle est la parabole qui capte l’état des langues », affirme un certain Tristan Félix. LA LÉMURIE, CE VIEUX CONTINENT Les fondateurs des revues Lettres de Lémurie et DO-KRE-I-S seraient sans doute d’accord. La première est née en mars 2017 sur les marches du Salon du livre des Comores et de l’océan Indien. L’écrivain malgache Johary Ravaloson s’y trouvait en compagnie d’auteurs mauriciens, dont Ananda Devi. Ensemble, ils ont eu le sentiment qu’il fallait créer quelque chose dans cet océan Indien où chacun vit replié sur son insularité. Un an plus tard, le premier numéro de
Lettres de Lémurie est lancé au festival Étonnants Voyageurs.
« La Lémurie, c’est ce vaste continent émergé qui s’étendrait de l’océan Indien à la Patagonie, et dont Madagascar, les Comores, Maurice, les Seychelles et La Réunion seraient les continents émergés », explique Sophie Bazin, qui codirige la revue avec Johary Ravaloson. « On dit que la Lémurie serait le plus vieux continent du monde, là d’où tout est parti. Choisir ce nom, c’est renverser la perspective coloniale qui met la France hexagonale au centre de la Francophonie. » Dans le premier numéro, on retrouve des plumes connues, ou déjà publiées en France – Ananda Devi, Shenaz Patel, Raharimanana, Douna Loup, Emmanuel Genvrin, Amal Sewtohul –, mais surtout des jeunes auteurs comme la Mauricienne Johana Rasoanindrainy ou la Malgache Mialy Ravelomanana. Tous ont répondu à un appel à projet sur des textes évoquant la Lémurie, puis envoyé des nouvelles, des récits, des poèmes, des extraits de romans inédits, écrits pour la plupart en français, ou traduits du malgache ou de l’anglais. La couverture, particulièrement soignée, a été confiée à l’artiste Jimmy Cadet, qui vit à La Réunion. Pour la fabrication, la revue a eu recours à la souscription, chaque souscripteur recevant un traitement privilégié et un cadeau en récompense de son geste. Le numéro 2 sera lancé l’an prochain, toujours à Étonnants Voyageurs. EMBRASSER LA CULTURE CRÉOLE Fondée en Haïti, DO-KRE-I-S en est déjà à son deuxième numéro. L’objectif de cette revue éditée à Port-au-Prince est d’embrasser la culture des mondes créoles – Haïti, Guadeloupe, Martinique, Guyane, Réunion, Maurice, Seychelles. « En Haïti, on a tendance à penser que nous sommes les seuls Créoles » , constate Jean Érian Samson, directeur de la publication et poète haïtien. « On a voulu créer cette plateforme pour que les peuples créoles apprennent à se connaître. » Tous partagent, selon lui, l’expérience du voyage, qu’a impliquée la colonisation. C’est le thème du premier numéro, le deuxième s’intéressant au « miroir », l’idée de « voir l’autre en soi ». L’originalité de cette revue est de proposer des oeuvres – poésie, photos, nouvelles… – en même temps qu’un matériel critique avec des entretiens d’artistes ou de chercheurs et des analyses. L’auteure haïtienne Yanick Lahens fait partie du comité de rédaction, le romancier Evains Wêche est le rédacteur en chef, les écrivains Évelyne Trouillot, Frankétienne, James Noël ou Guy Régis Jr. font partie des contributeurs qui s’expriment en français ou en créole. On souhaite de beaux jours à ces superbes revues, nées sous une belle étoile.
Comment se les procurer ?
Pour Lettres de Lémurie, passez la commande à votre libraire ou rendez-vous sur le blog des éditions Dodo vole : dodovole.blogspot.com Pour DO-KRE-I-S, toutes les infos sur le site www.associationvagueslitteraires.org où sont également détaillés les appels à contribution.