BEAUX LIVRES
Si de nombreux volumes en grand format paraissent toute l’année, la saison des fêtes est le moment par excellence où l’on aime (s’)offrir ces éditions largement illustrées. Petit florilège établi par la rédaction.
BIBLIOPHILIE bibliothèque] « [ La est la salle du trésor de toutes les richesses de l’esprit humain » , disait Gottfried Wilhelm Leibniz. À la lecture de cet ouvrage, on ne peut qu’approuver. Massimo Listri nous transporte au coeur de sanctuaires, prestigieux chefs-d’oeuvre architecturaux, où le livre a autant d’importance que la pièce qui le conserve.
Saluons également le travail de qualité des auteurs, Georg Ruppelt (ex-directeur de la Gottfried Wilhelm Leibniz Bibliothek à Hanovre) et Elisabeth Sladek (enseignante à Vienne, Rome et Zurich), qui nous en apprennent beaucoup sur l’histoire et le rôle joué par les bibliothèques dans l’évolution de la civilisation. Partez pour un voyage autour du monde, entre l’Europe et l’Amérique, et à travers le temps, les plus anciennes bibliothèques présentées remontant au Moyen Âge. En feuilletant les pages, on entendant déjà le parquet craquer et l’on sent la bonne odeur des livres poussiéreux.
LITTÉRATURE Sarkozy pensait enterrer Madame de Lafayette en s’en moquant en 2006. Depuis, il a disparu de la circulation alors que La Princesse de Clèves n’a cessé d’être réédité, relu, réhabilité. L’ouvrage est maintenant rhabillé par Christian Lacroix à travers une luxueuse édition où le roman est accompagné de dessins, peintures et croquis du couturier. Mourir en 1693, être encore une égérie en 2018, drôle de destin que celui de Madame de Lafayette.
Marguerite Yourcenar, elle, n’avait pas un physique de mannequin – Wolinski la qualifiait de « fascinante vieille clocharde ». Toujours actuelle, la première académicienne de l’histoire revient faire un tour de piste via un beau livre intime où l’on redécouvre ses amours, ses voyages et même ses goûts culinaires. Comme quoi elle continue à faire recette. Louis-Henri de La Rochefoucauld THÉÂTRE Fondée en 1680 par Louis XIV, la ComédieFrançaise est, à ce jour, le plus ancien théâtre d’Europe encore en activité. Inaugurée par l’illustre Jean-Baptiste Poquelin et sa troupe, elle n’a cessé de susciter la fascination. Le nombre d’ouvrages qu’elle a inspirés suffirait à remplir une bibliothèque. Il en manquait un, pourtant, qui raconte sa singulière histoire, depuis sa création jusqu’à aujourd’hui, un livre somme, d’une érudition sans faille et d’une narration élégante, à la fois savant et grand public. Bref, un livre qui rassasie l’envie de savoir et de découvrir, mais qu’on puisse déguster ou dévorer au gré de sa fantaisie. Le voici avec ce Comédie-Française. Truffé d’anecdotes, il n’impose pas de lecture linéaire. Exhaustif, magnifiquement illustré par plus de 200 documents en partie inédits, fruit du travail conjugué d’une conservatrice archiviste et d’un professeur d’histoire culturelle, ce bel et riche ouvrage devrait s’imposer comme le livre de référence pour tous les amoureux de l’Illustre Maison. Qu’ils soient étudiants, spécialistes ou simples dilettantes. Dominique Poncet
CINÉMA Le cinéma de genre s’affiche dans les salles obscures, mais également en librairie à travers trois ouvrages amenés à servir de références. À commencer par Memories of murder, qui décortique le chef- d’oeuvre de Bong Joon-Ho sous toutes les coutures. Aussi vertigineuse que l’enquête qui a inspiré le film, cette analyse très complète replace intelligemment l’oeuvre dans son contexte social, politique, voire cinématographique. Illustré par de nombreuses photos et autres archives inédites ( script, story- boards…), voilà un complément indispensable à l’excellente édition DVD/Blu-ray, sortie il y a quelques mois.
Autre salle, autre ambiance avec le troisième volume de Midi-Minuit Fantastique consacré à la mythique revue fantastique qui, de 1962 à 1971, aura apporté un regard nouveau et passionné sur le genre. Une fois de plus, Nicolas Stanzick et Michel Caen nous offrent un livre somme ( 752 pages et plus de 800 photos) d’une richesse impressionnante. Notamment composé de cinq numéros de Midi-Minuit Fantastique entièrement restaurés et augmentés ainsi que d’un DVD bourré de surprises, ce troisième volume fait office de passionnant témoignage sur son époque.
Davantage réservé aux néophytes, Le Cinéma d’horreur retrace l’histoire du septième art horrifique à travers cent de ses films les plus emblématiques, du Cabinet du docteur Caligari à Paranormal Activity en passant par Ring ou encore Suspiria. Une belle porte d’entrée au cinéma de genre. Classique mais efficace. Ilan Ferry
CHANSON Tricatel est le plus littéraire des labels musicaux. Fondée il y a vingt-deux ans par le producteur, compositeur, arrangeur et interprète Bertrand Burgalat, la maison a toujours fait preuve d’audace et d’éclectisme.
En avançant vaille que vaille, loin des modes, avec une exigence jamais démentie. Ouvert en 1996 avec Valérie Lemercier chante, le catalogue de plus de cinquante titres a fière allure. S’y côtoient Présence humaine de Michel Houellebecq, 9th & 13th de Jonathan Coe, Triggers d’April March, Beet, Maize & Corn de The High Llamas, quatre chefs-d’oeuvre de Chassol ou Les choses qu’on ne peut dire à personne, la pièce maîtresse du patron. Des disques qui gagnent à chaque écoute et qu’on écoutera encore dans vingt-deux ans. Alexandre Fillon
POP Il existe, sur John Lennon, un livre assassin (c’est le cas de le dire) : sa bio publiée par Albert Goldman en 1988.
Entre deux horreurs sur Lennon, Yoko Ono y est, elle, peinte en harpie vénale qui, dès le lendemain de la mort de son mari, cherche tous les moyens d’en faire des sous. Ce beau livre consacré à l’enregistrement de l’album Imagine va- t- il arranger sa réputation auprès de ses détracteurs ? Pas sûr. Les fans des Beatles se féliciteront quand même de pouvoir plonger comme jamais dans les coulisses de ce disque mythique (photos, récits, etc.) – et si, enfin, Ono n’était plus honnie ? L.-H.L.R.
MUSIQUE CLASSIQUE À chacun sa station balnéaire normande. Ainsi, Marcel Proust a eu Balbec (cette ville imaginaire rappelant fort Cabourg) ; pour son contemporain Claude Debussy, ce fut Houlgate (bien réelle, pour le coup), où il séjourna en août 1911. Voilà ce que l’on découvre dans le très beau livre que consacre Rémy Campos au compositeur de Pelléas et Mélisande. Au-delà du simple album de famille ici édité, Debussy à la plage s’avère surtout un magnifique hommage à une cité (entre sa plage, son casino et son Grand-Hôtel), une époque, et un moyen détourné de plonger dans la vie et l’oeuvre de ce génie mélancolique. Baptiste Liger
PEINTURE Pour prolonger l’éblouissante rétrospective qui se tient jusqu’au 14 janvier à la Fondation Louis-Vuitton, Taschen publie un ouvrage exceptionnel consacré à Jean-Michel Basquiat. Présenté dans une valise en carton pour faciliter son transport en raison de son poids (5,5 kilos), cet ouvrage XXL offre une immersion complète dans le New York des années 1980, où s’est déployé le génie du peintre américain aux origines haïtienne et portoricaine, disparu prématurément à l’âge de 27 ans d’une overdose, laissant derrière lui une oeuvre foisonnante (environ 800 tableaux et 1 500 dessins). Le récit, agrémenté de reproductions et de photos d’époque, revient sur ses débuts dans la rue, quand Basquiat couvrait les murs de poèmes et de croquis, signés Samo. Il déroule ensuite les étapes de la carrière fulgurante d’un artiste rebelle, visionnaire et engagé, qui abordait avec une audace folle des sujets plus que jamais d’actualité, comme l’identité, le racisme et les violences policières. Avec un geste d’une lucidité, d’une vitalité et d’une expressivité foudroyantes. À noter aussi, pour les fans, la parution du catalogue de l’exposition, coédité par Gallimard et la Fondation Louis-Vuitton. Fanny Thibault
DESIGN Savez- vous comment reconnaître une coiffeuse Duchesse de Berry, un fauteuil à la reine ou une table-chaise façon Philippe Starck ? Dans Le Guide des styles, deux spécialistes proposent un voyage dans la très chic histoire du mobilier français : gothique médiéval, courbures de l’Art déco, révolution du plastique, fonctionnalisme, postmodernisme… Soulignant le rôle des usages et des techniques, ils montrent comment le meuble nous révèle, du pied de table jusqu’aux dorures de bureau. Après une première partie chronologique, cet ouvrage élégant et accessible présente un parcours par objet : le coffre, la chaise, le fauteuil, la table… On jure de ne plus retourner chez Ikea ! Estelle Lenartowicz
PHOTOGRAPHIE Grand nom de la photographie humaniste, Willy Ronis a fait don d’une partie de son oeuvre à l’État français. Dans cet ouvrage qui reproduit, pour la première fois, l’ensemble de ces 590 clichés, le photographe prend la plume et raconte les petites et grandes histoires qui se cachent derrière chacune de ces images : anecdotes et souvenirs, précisions techniques, choix esthétiques, etc. Guidé par l’artiste, le lecteur mesure son art si poétique et magique de sublimer la vie quotidienne : scènes de grève chez Citroën, embrassades d’anonymes à la Libération, lèche-vitrines de fillettes à La Samaritaine, papi assoupi sur un banc à Marseille, mineur silicosé dans le Nord, promeneurs du dimanche… Du bonheur en noir et blanc ! E.L. ARTS Tout Vienne 1900 dans un splendide écrin. C’est le rêve de tous les amateurs d’art, et de tous ceux que taraude cette question : pourquoi une telle modernité a-t-elle culminé à Vienne entre 1890 et 1918 ? La réponse est à chercher, entre autres, dans le brassage de populations et dans « l’alliage de raffinement et de grossièreté » qui définissent la ville. Faire entrer l’art dans tous les aspects de la vie était le but de la Sécession viennoise, qui avait pour devise «À chaque époque son art, à l’art sa liberté » . Gustav Klimt la quitta en 1905. L’itinéraire de l’auteur du Baiser est retracé dans ce beau-livre richement illustré, tout comme celui de Schiele, de l’architecte Wagner, de la photographe Madame d’Ora, de la créatrice de mode Emilie Flöge, ou encore de l’association Wiener Werkstätte qui produisit des objets décoratifs, des bâtiments ou du textile. On ressort de cette lecture ébloui par l’inspiration des artistes qui ont incarné Vienne 1900. Gladys Marivat
CUISINE L’un est un cuisinier israélien star ; l’autre est journaliste à Paris et noircit, chaque semaine, les pages « Gastronomie » de M, le magazine du Monde. Chacun à leur manière, ils ont consigné dans des recueils des recettes qui leur sont chères. Yotam Ottolenghi signe Simple, soit 140 recettes végétariennes, archi-simples. « Pour moi, faire simple revient à passer rapidement chez le primeur, à choisir un ou deux produits qui m’inspirent et à en faire un plat en vingt à trente minutes à la maison », explique le chef. Une frittata aux courgettes en dix minutes, des croquettes aux petits pois au zaatar, à la portée de tous ; les recettes sont classées par catégories : « Éloge de la paresse », pour les flemmards ; « Vite fait bien fait », pas plus de trente minutes…
Zéro excuse pour se mettre aux fourneaux. Camille Labro n’est pas chef, mais elle recueille, depuis plusieurs années, les récits de nombreuses personnalités, plus ou moins liées à l’univers culinaire, autour d’un plat qui les a marquées. « J’ai dû sélectionner 80 témoignages pour faire le livre mais, en réalité, tous m’ont touchée. » De Maguelonne Toussaint-Samma à Jacky Durand en passant par François-Régis Gaudry, Affaires de goût est un plongeon délectable dans la nostalgie gourmande. Mina Soundiram
JEUNESSE Ce n’est pas une BD, pas un album non plus. C’est le livre d’une vie en images. Tout commence en décembre 1955. Un enfant naît, grandit et passe son temps à regarder. Il a une idée fixe : aller dans l’espace. De regard en regard, il poursuit son chemin. Le récit prend alors la dimension d’une fable. Faut- il poursuivre son rêve au risque de passer à côté de l’essentiel ? À travers emporte les lecteurs de tous les âges et certains auront le plaisir de saisir les clins d’oeil cinématographiques (2001, l’odyssée de l’espace, Alien…). Tom Haugomat signe un livre brillant et tendre. Raphaële Botte
BD De 1960 à 1985, Hara-Kiri fut la publication la plus censurée de la presse française contemporaine : qui a oublié ce « Bal tragique à Colombey – 1 mort » ? Best of de unes, de photomontages et autres détournements, Hara-Kiri. Les belles images retrace les vies du journal créé par François Cavanna et le Professeur
Choron, avec leurs dessinateurs Reiser, Topor, Cabu ou Wolinski. Un ouvrage qui permet de relire et de goûter une liberté de ton qui s’en prenait à tout. Par ailleurs, Jean-Luc Porquet, journaliste qui côtoya Cabu durant vingt ans au Canard enchaîné, nous offre, avec Une vie de dessinateur, la première biographie sur le dessinateur : plus de 400 croquis, textes, photos, issus des archives personnelles du défunt auxquelles il a eu un accès exclusif. Hubert Artus
IMAGINAIRE Depuis sa rédaction en 790 par l’Arabe dément Abdul al- Hazred, le Necronomicon nourrit les fantasmes les plus fous. Mais a-t-il seulement existé ? Interdit, maudit, vénéré ou moqué, ce recueil de textes sacrés invoquant les Grands Anciens – des divinités obscures et obscènes d’avant la création du monde – a circulé clandestinement jusqu’à sa publication, en 666 exemplaires, par une librairie ésotérique new-yorkaise. Le mystérieux Simon, espion, polyglotte et grand voyageur, l’avait traduit dans les années 1970 et complété d’une Histoire secrète du Necronomicon et d’un ensemble de rituels et d’incantations magiques. Cette présente réédition, dans une superbe version reliée aux allures de grimoire, donne envie de croire à l’existence de ce livre occulte, qui n’est autre que le fruit du génie lovecraftien. Meriem Djebli
MONDE Que Saint Laurent ait appelé un parfum Opium en dit long sur son rapport à l’Inde, à la Chine et au Japon : celui-ci était intérieur et fantasmatique. Le catalogue de l’exposition « L’Asie rêvée d’Yves Saint Laurent » rappelle qu’il fut orientaliste dans ses collections privées comme dans ses créations – où il ne se bridait pas. S’il était encore de ce monde, aucun doute que la magnifique édition des Cent aspects de la Lune de Yoshitoshi aurait pris place sur la table basse de son salon rue de Babylone. La qualité de la reproduction en fac-similé de ces estampes (exécutées entre 1885 et 1892) envoûte page après page. Une fois qu’on a basculé dans un état second, on peut prolonger ce doux coma avec L’Album de Kyôsai, livre accordéon sur le grand peintre poétique et satirique, successeur d’Hokusai. Ces trois objets sont superbes. Que des éditeurs soignent autant leur travail fait craindre une descente : et si tout cela n’était qu’un rêve ? Louis-Henri de La Rochefoucauld
HISTOIRE Cette histoire de l’humanité constitue la plus belle revanche des archéologues sur les historiens, dont ils furent trop longtemps les auxiliaires. Mais aussi un bel hommage aux nouvelles techniques qui, depuis vingt ans, ont permis à la discipline d’avancer à grands pas : génétique, drones, datation, télédétection, scanner… Une histoire des civilisations, sans équivalent et y compris dans son parti pris synthétique, est nourri par 70 contributions et une iconographie originale. S’il s’ouvre logiquement sur les sociétés de chasseurs-cueilleurs, puis aborde la formation des États et des empires, il se clôt de manière novatrice sur l’archéologie des grands conflits mondiaux. Le lecteur est prévenu ; pour les archéologues, le mot d’ordre est désormais : « Oser le récent et le non enfoui. » Emmanuel Hecht
PSY De l’aliénisme classique centré sur une clinique du regard, du symptôme et du stigmate à la percée de la psychanalyse qui mit au centre de sa pratique l’écoute du discours du patient, de sa biographie tourmentée et de son désir inconscient. Les contributeurs insistent sur la judaïté de Freud ; athée, homme des Lumières et de la Raison. Un projet parfaitement abouti, sous la direction de Jean Clair. Des vaines idoles aux images contemporaines de Freud. Courbet, Klimt ou Schiele. La sexualité humaine à l’avant-scène. Alain Rubens SCIENCES Les mers couvrent 71 % de la surface de la Terre. La Belle Histoire de l’Océan les raconte, en 100 dates, depuis les premières eaux, voilà 4,4 milliards d’années, jusqu’aux derniers progrès en construction navale. En passant par la bataille de Lépante, les grandes explorations, la pose des câbles sous-marins, les plongées dans les abysses et la révolution des conteneurs. Dans cette véritable encyclopédie, magnifiquement illustrée, tout y est : les sciences, la politique, l’économie, le droit, les catastrophes. Maintenant, il faut protéger l’Océan de la surpêche et des pollutions. Il y va de notre survie. Françoise Monier