JOSYANE SAVIGNEAU
Certains l’aiment Jo
Une recherche de la pureté, dont on sait à quelle folie elle peut conduire
La première chose à dire d’Un temps pour haïr, de Marc Weitzmann, est que c’est un livre d’écrivain et non de journaliste. La littérature n’en est pas absente, notamment à travers la figure de Jean Genet qui, à plusieurs reprises, sert de guide. La grande réussite de cet essai réside dans sa construction rassemblant enquêtes, témoignages, retour sur l’Histoire – celle de l’Algérie en particulier– et réflexion. Pour examiner deux questions, qui se posent singulièrement en France : Comment ce pays est- il devenu le plus ciblé par la terreur entre 2015 et 2016 ? Pourquoi est-il aussi l’un des seuls à avoir échappé aux populismes dans les urnes ?
Ce texte, qui a demandé à Marc Weitzmann quatre ans de travail, trouve sa source aux États-Unis. En 2014, il a rédigé pour le magazine américain en ligne Tablet une série d’articles sur la montée des brutalités antijuives en France. Philip Roth, dont il est depuis longtemps l’ami, l’a lu et l’a encouragé à aller plus loin, à écrire un livre. Il s’y est donc attelé, pensant faire un texte assez court, à la fois en anglais et en français. Après les attentats de 2015 en France, la perspective a évidemment changé. Et, à partir du même matériau, les narrations étaient nécessairement différentes dans chacune des langues. La version anglaise paraîtra aux États-Unis au printemps 2019.
Il fallait tenter de comprendre comment on était passé d’actes spontanés visant essentiellement des Juifs à des attentats politiques planifiés visant potentiellement tout le monde. Marc Weitzmann commence par trois histoires de conversion : celles de Luc, d’Annabelle et de Diane. Ce qui lui permet de discuter les thèses tentant d’évacuer la dimension religieuse de la radicalisation. Mais très vite,
il prend soin d’indiquer que son travail n’est pas un réquisitoire contre les musulmans : « Je ferais aussi bien de préciser avant d’aller plus loin qu’il ne s’agit pas ici de faire porter “aux musulmans en général”, comme on dit, le chapeau de la terreur – bien plutôt de déconstruire, au contraire, les généralités et étiquettes de ce genre. Tâche ardue vu le caractère inflammable du sujet, mais aussi, peut-être bien, pour des raisons intrinsèques au processus terroriste, dont l’un des effets consiste à brouiller le sens des proportions. »
Le texte est composé de trois parties – « À la recherche de l’authenticité, ou l’Orient contre le monde moderne », « L’énergie pour tuer, l’implantation des discours islamistes en France » , « Kaddish » – dans lesquelles Weitzmann cherche à être le plus concret possible, à écouter les propos des protagonistes, à comprendre ce qui les anime, et qui est souvent une recherche de la pureté, dont on sait à quelle folie elle peut conduire. On est dans l’Histoire, mais aussi dans une histoire au quotidien, au coeur des familles – le rôle des mères est très important. On lit dans une espèce d’urgence, dans le désir de saisir enfin le « pourquoi » de la situation en France depuis 2015. C’est un gros livre, plus de 500 pages, qu’on ne lâche pas, et qui se termine, dans « Kaddish », sous le signe de l’Ecclésiaste, d’où vient le titre : « Tout a son temps et toute chose a sa destinée dans le ciel […]. Un temps pour aimer et un temps pour haïr […]. Car les fils de l’homme sont un accident. » Il y a là un passage sur la réaction du père de Weitzmann après que, « au mois de février 2005, des inconnus ont tagué une croix gammée sur le wagon témoin du Mémorial du camp de Drancy ». On aime que ce travail magistral finisse par une note intime.