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L’UNIVERS D’UN ÉCRIVAIN

Tous les romanciers ne passent pas leur vie en robe de chambre à végéter à côté de leur poêle. Certains préfèrent travailler en voyageant. À quoi ressemble dès lors leur intérieur ? Entre une parution de roman (Deux soeurs) et la sortie en salles de l’ada

- David Foenkinos

Avec deux parents ayant mené leur carrière profession­nelle dans l’aviation, David Foenkinos aurait pu rêver, toute sa vie, d’avoir les fesses en l’air. Il n’en est rien. Aux vols long-courriers, il préfère le rail. Passant beaucoup de temps dans les trains pour assurer la promotion de ses livres, il a en effet pris l’habitude d’écrire là, le derrière pas loin du sol, ainsi qu’il le raconte souvent en interview. Ce SBF (sans bureau fixe) a-t-il quand même une « chambre à soi », comme dirait Virginia Woolf ? Nous voulions juger sur pièce. À l’occasion de sa double actualité (adaptation

au cinéma du Mystère Henri Pick avec Fabrice Luchini dans le rôle principal, sortie de son roman Deux soeurs chez Gallimard), nous avons pris rendez-vous chez lui, un matin de janvier où il n’avait pas prévu de boucler sa valise.

L’adresse qu’il nous a donnée se trouve dans une rue discrète du 12e arrondisse­ment de Paris, sise non loin du palais de la Porte dorée et du cimetière de Picpus. L’allée, plantée de bambous, est plus calme qu’un hall de gare. Quelques maisons se suivent. Quelle est celle de Foenkinos ? Un indice nous met sur la voie : en voici une où l’on aperçoit, à travers la fenêtre, des piles de livres.

Pas besoin d’être Sherlock Holmes… Dring ! Poignée de main franche, tutoiement immédiat, Foenkinos a l’air dans son assiette. Entre ses traduction­s à l’étranger (jusqu’à une quarantain­e pour La Délicatess­e) et les services de presse qu’il reçoit, il croule sous le papier. « C’est un peu bordélique, quand même », reconnaît- il, en préparant du café. D’autant que s’ajoutent au désordre les jouets de sa fille et des caisses de vin. Un problème d’alcoolisme ? Il nous répond, en toute sobriété : « En 2016, j’ai reçu le Grand Prix des Vendanges littéraire­s de Rivesaltes – 260 bouteilles. Mais je ne bois pas beaucoup chez moi, je n’invite jamais personne, et, quand je vais à un dîner, je ne peux pas apporter une bouteille parce qu’on sait bien que je ne l’ai pas achetée… Elles risquent de rester là un moment. »

DES BLAGUES SUR LES MOLLETS

La conversati­on roule naturellem­ent sur la version ciné très réussie du Mystère Henri Pick – David rit encore de la scène, il est vrai hilarante, où Luchini se lance dans une imitation de Marguerite Duras. Son nouveau livre, en revanche, est moins drôle. Noir et tendu, il nous a fait penser à un vieux Chabrol, genre Que la bête meure. Foenkinos : « C’est la première fois que je parle du roman, mais c’est marrant que tu dises ça car, dans les quelques retours de libraires et de représenta­nts que j’ai déjà eus, beaucoup faisaient eux aussi référence à Chabrol – et ça me plaît énormément. J’ai voulu faire un livre court et dense, un huis clos inquiétant, un thriller psychologi­que entre ces deux soeurs, Mathilde et Agathe. Il est certain que ce n’est pas mon livre où il y a le plus d’humour… » Rappelons qu’à ses débuts Foenkinos avait l’image d’un auteur burlesque. Comme son ami Serge Joncour, il a glissé peu à peu de la fantaisie à un réalisme où prime l’empathie pour ses personnage­s, souvent féminins, avec la résilience en toile de fond. Sa veine comique serait- elle derrière lui ? Les blagues récurrente­s sur les mollets, qu’il y avait dans ses premiers livres, c’est un passé révolu ? « Je faisais souvent des blagues sur les mollets ? Je ne m’en souviens pas… Si tu as retenu ça, c’est parce que c’est toi qui es fétichiste, un psychopath­e du mollet ! Plus sérieuseme­nt, j’ai le sentiment d’avoir alterné les deux. Après Charlotte, qui est un livre extrêmemen­t sombre sur le destin tragique de Charlotte Salomon et qui a rencontré un grand succès, j’aurais pu rester dans cette veine. Mais juste après, je suis revenu avec Le Mystère Henri Pick, un livre au contraire très léger, une comédie sur le milieu littéraire. C’est très excitant de changer d’univers. J’aurais pu refaire sans cesse La Délicatess­e, mais je me laisse guider par mes émotions, par l’humeur du moment. Mon prochain livre pourrait tout à fait être dans une veine humoristiq­ue. Ce que je préfère, à vrai dire, c’est le mélange des deux, comme dans mes films, des drames avec de l’humour. »

Le cinéma, parlons- en : il est partout. Dans l’escalier, on voit les affiches des deux films qu’il a coréalisés avec son frère Stéphane ( l’adaptation de La Délicatess­e avec Audrey Tautou et Jalouse avec Karin Viard). Au salon, il y a le coffret pour voter aux César et une photo de François Truffaut et JeanPierre Léaud (le personnage d’Antoine Doinel est l’une de ses passions fixes).

FRANK ZAPPA, SON GRAND MAÎTRE

Un autre grand comédien arrête notre regard : François Mitterrand. Pourquoi ce portrait officiel de l’ancien président ? « J’allais tous les ans faire des dédicaces dans la même ville et j’adorais ce cadre de 1981, qui était dans un débarras. On a fini par me l’offrir. Avant de vivre ici, j’ai habité quinze ans près de la BnF François-Mitterrand – et Mitterrand est quelqu’un que j’admire. J’aime beaucoup cette photo, d’autant qu’il est devant une bibliothèq­ue. Enfin, ce n’est pas non plus une obsession : dans la chambre de mon fils, il y a John Coltrane ! » Avant de réaliser et d’écrire des films (il a scénarisé Lola et ses Frères de Jean-Paul Rouve), Foenkinos a fait de la musique. Il a été professeur de guitare pendant trois ou quatre ans. S’il ne joue plus tous les jours, son instrument fétiche est encore en évidence. Qui fut son « grand maître » quand il étudiait dans une école de jazz ? L’inénarrabl­e Frank Zappa,

homme au catalogue inépuisabl­e, dont David nous conseille des titres comme King Kong, Waka/Jawaka, The Grand Wazoo ou Zoot Allures.

Cela fait plus d’une heure qu’on est là, et l’essentiel n’a toujours pas été abordé : le train. Qu’est-ce donc que ces histoires de train, David ? « Je l’avoue : j’ai un goût incroyable pour le train, et surtout pour l’écriture dans le train. Quand on ne sait pas trop où l’on est, ça libère l’imaginatio­n. Écrire dans les trains ou les hôtels est le meilleur moyen de ne pas être parasité par la vie quotidienn­e, d’être libre dans son esprit. » Pour ceux qui chercherai­ent de bons tuyaux ferroviair­es, il précise : « Le train allemand reste mon endroit favori. Un livre comme Le Mystère Henri Pick, je l’ai écrit presque exclusivem­ent dans les trains alors que je faisais une longue tournée en Allemagne pour

Charlotte – qui est, hélas, un roman très Deutsche Bahn… Deux soeurs, je l’ai davantage écrit dans les trains suisses, il est donc plus ambiance Lyria. Chaque livre est quand même saupoudré d’un peu de SNCF ! Mais je devrais me faire sponsorise­r par la Deutsche Bahn, comme me le dit mon traducteur allemand. Quand je suis chez moi, j’aime écrire dans mon lit. L’idéal, ce serait donc un train couchette. Le seul problème, c’est que je ne peux pas dormir avec quelqu’un que je ne connais pas, j’ai peur qu’il sorte un couteau, je suis trop paranoïaqu­e… »

UN BOULIMIQUE DE TRAVAIL

Les couteaux dans le dos, Foenkinos en a l’habitude. Pas mal de gens se sont retournés contre lui depuis qu’il cartonne. En conçoit-il une quelconque amertume ? « Non, c’est un classique, et c’est même assez drôle. La Délicatess­e serait un bon exemple : quand le livre sort, je suis programmé à la rentrée de septembre chez Gallimard, j’ai une très bonne presse, Bernard Pivot adore le livre. Sur les 600 romans publiés, il est le seul à être sur toutes les listes des prix littéraire­s. Je n’en revenais pas, c’était la première fois que j’étais sur des listes. Le livre était de fait considéré comme très littéraire. Et il est vrai que, lorsqu’il a dépassé le million d’exemplaire­s vendus, les mêmes journaux qui l’avaient encensé se sont mis à critiquer son côté grand public. Les choses se font ainsi. C’est normal, quand tu as du succès. Il faut se libérer du jugement des autres. Je me dis que je dois avancer en essayant de faire au mieux. Ce qui m’excite et m’anime, ça reste la création. » Angoissé comme il est, un « boulimique de travail » dont le « quotidien est toujours rempli par plusieurs projets », ce n’est pas une mauvaise critique qui le fera raccrocher. Imagine-t-il, en revanche, se lasser un jour des trains allemands, s’acheter un chien, une pipe et un pull jacquard, et s’installer dans une province paisible comme toute caricature d’écrivain qui se respecte ? « C’est un rêve. Pas de vivre à la campagne à l’année, mais d’y avoir une maison où aller régulièrem­ent pour écrire, avec une cheminée et beaucoup de livres, la mythologie parfaite. Et ce serait en Normandie ou en Bretagne. Je dis ça, mais peut-être que je m’y ennuierais à mourir au bout de deux jours. J’adore les villes.Et puis je n’ai pas une âme de propriétai­re. Ici, c’est un meublé que je loue et d’où je vais bientôt déménager. La propriété, ça m’angoisse un peu, j’ai toujours l’impression qu’une toiture va tomber… »

Pour refaire cette rubrique, il faudra revenir le voir dans dix ou quinze ans, quand il aura soigné sa phobie de la tuile. En attendant, il est largement plus de midi, nous devons partir. De quoi déjeunera David ? Nous ne trahirons pas sa vie la plus privée. Ce qui se passe chez Foenkinos reste chez Foenkinos. Tout ce qu’on peut dire, c’est qu’il ne s’agira pas d’oeufs mollets.

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 ??  ?? David Foenkinos vit dans un gentil fouillis, au milieu des livres et des jouets de sa fille. Une bouteille de vin lui rappelle qu’il a gagné le Grand Prix des Vendanges littéraire­s de Rivesaltes.
David Foenkinos vit dans un gentil fouillis, au milieu des livres et des jouets de sa fille. Une bouteille de vin lui rappelle qu’il a gagné le Grand Prix des Vendanges littéraire­s de Rivesaltes.
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Parmi les objets fétiches de l’auteur, sa guitare, le portrait de François Mitterrand et les affiches de ses livres portés à l’écran.
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de Rémi Bezançon.
En salles le 6 mars.
HHHII Deux soeurs par David Foenkinos, 176 p., Gallimard, 17 € À noter la sortie du film Le Mystère Henri Pick de Rémi Bezançon. En salles le 6 mars.

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