Grégoire Delacourt
Dieu est amour, dit-on. Mais Édouard, le héros tragique du nouveau roman de Grégoire Delacourt, aura bien du mal à l’entendre. Il débarque en effet plein de fureur dans une église, brisant tout sur son passage. Ce fils de boucher, ayant reçu une éducation catholique, n’a « plus peur du sang depuis longtemps » et a envie d’en découdre avec le curé des lieux. « Les gamins que vous baisez, ils n’ont pas de nom ? » demande ainsi le géniteur du petit Benjamin à l’homme de foi, le père Préaumont. Ce dernier comprend immédiatement le motif de la rage d’Édouard et, calmement, rectifie : le responsable des méfaits contre l’enfant se nomme, en réalité, le père Delaunoy… La confrontation, alors, se prépare. Et elle sera forcément violente, prenant des chemins (de croix) très inattendus. Placé sous le signe du sacrifice – avorté – par Abraham de son fils Isaac, Mon père (JC Lattès) révèle une force littéraire que l’on n’imaginait pas forcément chez l’auteur de La Liste de mes envies. À l’opposé d’une oeuvre-dossier comme le film Spotlight (ou le récent Grâce à Dieu de François Ozon, actuellement dans les salles), le roman dévie de la fiction à thèse sur les prêtres pédophiles pour plonger dans les recoins les plus obscurs des hommes, soudain face à leurs fautes et à leur faculté de basculer « du côté des ténèbres ». On trouve ici des phrases aussi dures à lire – et plus encore à entendre pour un père – que celles-ci : « J’ai désiré votre fils. J’ai désiré le caresser. Éprouver sa peau. Je l’ai même aimé. » Les mots sont parfois comme des couteaux aiguisés. Surprenant par la religiosité de son approche – tant sur le fond que sur la forme – et par son final radical, Mon père montre remarquablement les limites de la vengeance. Mais aussi celles du pardon.