La lecture pour tous
D’un côté, Michel Le Bris, « étonnant voyageur » devant l’Éternel. De l’autre, Erik Orsenna, académicien et lui aussi voyageur. Entre eux, la volonté de transmettre la passion des livres qui les unit.
Ces deux hommes de lettres se sont retrouvés dans des causes et manifestes communs
Né en 1944, Michel Le Bris fut maoïste, directeur de La Cause du peuple avant d’être l’un des cofondateurs de Libération. Il est ensuite devenu écrivain, éditeur, et cocréateur du festival Étonnants Voyageurs. Erik Orsenna, son cadet de trois petites années, plume et conseiller culturel du président Mitterrand, a reçu le prix Goncourt 1988 pour L’Exposition coloniale. Élu à l’Académie française dix ans plus tard, il a participé à la campagne du candidat Macron. Mais depuis plus de dix ans, ces deux hommes de lettres se sont souvent retrouvés dans des causes et manifestes communs. Leurs deux livres sont complémentaires.
ODE AUX RACONTEURS D’HISTOIRES
Afin de prendre la mesure de ce qui est en jeu dans Pour l’amour des livres, il faut s’imaginer Michel Le Bris, cloué sur un lit d’hôpital, avec un voisin ne regardant que des films de tueurs en série. « Le besoin de ce livre est né cette nuit-là », écrit celui qui, ayant partiellement perdu la vue, se croyait « mort. Pas physiquement, peut-être, ou pas encore, mais comme écrivain ». Un défi, chez un homme depuis toujours « aimanté par l’idée de la littérature que je portais et de ce qu’elle engageait d’une vision de l’être humain – une idée défendue avec d’autant plus de force que j’avais le sentiment qu’elle était plus vaste que moi, qu’elle m’avait fait » . Rassurezvous, nous sommes loin d’un lamento. Dix- huit mois après Kong, un roman-fleuve comme l’écrivain en écrit régulièrement depuis plus de quarante ans, voici à la fois une autobiographie, un essai et une ode aux raconteurs d’histoires. En plusieurs tableaux (petite enfance, lycée, études, Mai- 68, premières expériences de presse, édition, création du festival Étonnants Voyageurs), Le Bris revient sur tous ces récits qui l’ont « foudroyé » : La Guerre du feu de J.-H. Rosny Aîné et La Condition humaine de Malraux dès l’âge de 10 ans, puis Hugo, Conrad, Melville et tous les « chemins de merveille » qui l’ont mené
à ses recherches sur Robert Louis Stevenson ( dont il est l’un des grands spécialistes), aux romantiques et à tant d’autres textes qui sont ici parcourus. Écrits. Transmis. Le Bris fait de la lecture une urgence pour se construire soi-même. Doublée d’un engagement pour la culture : « Démocratie-littérature : même enjeu. »
OUVRIR PLUS POUR OUVRIR MIEUX
Un tel enjeu démocratique est précisément à l’origine et au coeur du Voyage au pays des bibliothèques. Ce rapport, ici légèrement augmenté – commandé en juin 2017 par Françoise Nyssen, alors ministre de la Culture, à Erik Orsenna et à Noël Corbin, inspecteur général des Affaires culturelles –, avait pour but d’étudier et de mettre en oeuvre l’ouverture des bibliothèques le dimanche et en soirée.
Les auteurs ont sillonné la France durant trois mois. Certes, le texte enfonce quelques portes ouvertes et satisfecit – ces établissements font partie d’un réseau complet et complexe d’initiatives dont le territoire est riche, ils sont « des outils inestimables pour lutter contre toutes les fractures, culturelle, sociale, sociétale et peut- être contre la plus dangereuse de toutes aujourd’hui : la fracture numérique » , et autres –, mais on saura gré aux deux hommes de proposer, via cette mission administrative, une approche humaine du problème. Ils donnent vie aux 38 000 agents et aux 82 000 bénévoles. Ceux qui ouvrent le « point lecture » de 20 m² d’un bourg, quatre heures par semaine ; ceux qui travaillent 55 heures par semaine dans les 27 000 m ² de la bibliothèque Mériadeck à Bordeaux ou les 15 000 m² de la Bibliothèque francophone multimédia de Limoges ; ceux qui, encore, agissent pour favoriser la réinsertion des détenus par le droit à la lecture.
Ici, les bibliothèques ne sont pas seulement des bibliothèques : elles proposent du soutien scolaire, de l’éducation artistique, de la lutte contre l’illettrisme, de l’aide à la recherche d’emploi, elles accueillent des migrants. Forts du slogan « Ouvrir plus pour ouvrir mieux », Noël Corbin et Erik Orsenna pointent et illustrent de quelle manière « la lecture […] est l’accès des accès ».
Pour l’amour des livres par Michel Le Bris, 272 p, Grasset, 19 € Voyage au pays des bibliothèques par Erik Orsenna et Noël Corbin, 160 p, Stock, 14 € (bénéfices reversés à une association de bibliothèques)