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Abdellah Taïa*

« À Paris, le seul rapport que nous avons avec nos voisins réside dans l’hostilité de nos bruits »

- Propos recueillis par Gladys Marivat

« Quand j’étais au Maroc, je vivais avec onze personnes dans une maison très pauvre. Nous étions neuf frères et soeurs à dormir dans la même chambre. J’avais intégré les bruits de cette intimité- là. Quand je suis arrivé à Paris, il y a vingt ans, j’ai été confronté au tapage de voisins invisibles, dont je ne savais rien. Ça a été très difficile psychologi­quement. En 2011, j’ai quitté Belleville pour la rue de Turenne, dans le Marais. Bien souvent à Paris, le seul rapport que nous

avons avec nos voisins réside dans l’hostilité de nos bruits. Le sommet a été atteint avec une voisine âgée. M’est alors revenu ce film que j’adore, Le Locataire de Roman Polanski.

Ce film d’horreur montre comment un lieu peut vous épuiser et vous pousser à bout, au point de penser qu’il y a des conspirati­ons à votre encontre. Cette attitude est justifiée parce que nous sommes des êtres fragiles fatigués par la ville, et que le moindre son que l’on entend depuis notre appartemen­t, notre prison intime, peut avoir des conséquenc­es explosives. Puis, il y a eu les attentats de 2015. Les bruits de voisinage sont devenus un sujet quasiment politique. La figure de l’Arabe, du musulman, a changé de nature. J’ai commencé à avoir peur, à être obsédé par ce que les gens pouvaient déduire des bruits que je produisais. Je faisais attention. Il m’a semblé que c’était une bonne folie à mettre dans l’écriture. La littératur­e que j’aime est celle du dérailleme­nt. C’est cela, Le Locataire, le dérailleme­nt d’un individu rejeté par la société. Avec cette voisine âgée, j’ai trouvé pour la première fois en France une personne capable de rentrer dans l’hystérie telle que je la connais au Maroc. Elle criait, je criais. C’était le signe que nous étions vivants, nous n’étions plus dans l’indifféren­ce. Elle résistait, elle voulait vivre. Cette hystérie était quelque chose qui pouvait la porter littéraire­ment, elle, et Mounir, le personnage inspiré de moi dans le livre. »

* Livre à paraître, La Vie lente (Seuil, en librairie le 7 mars).

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Le quartier du Marais, à Paris.

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