Que lisait-on sous l’Occupation ?
Entre censure et restrictions, Jacques Cantier livre une étude captivante sur le monde éditorial lors de cette période troublée de l’histoire française.
Sous la botte nazie, les Français se nourrissent de livres, « faute de bifteck » . En 1941, Les Beaux Draps s’arrache comme les petits pains qui manquent en boulangerie. Tout le monde a faim de livres, souligne l’historien Jacques Cantier. Pour tenter de comprendre cette « étrange défaite ». S’évader. Se réarmer moralement. Aussi les lecteurs se plongent- ils dans des oeuvres le plus souvent à mille lieues de ce pamphlet où Céline
déverse sa haine des Juifs et des francs- maçons, et suggère la création d’un salaire minimum et une durée de travail hebdomadaire de trente-cinq heures. L’histoire immédiate ( Nos mitrailleuses n’ont pas tiré, de J.-M. Aimot) fait un tabac, à l’instar des livres pratiques. Comment se nourrir au temps des restrictions connaîtra une trentaine de tirages. Mais la littérature garde ses droits avec La Mousson de Louis Bromfield ( 200 000 exemplaires) ; Moby Dick de Melville, traduit par Giono ; Claudel ; Péguy et un auteur prometteur, Albert Camus.
Lire sous l’Occupation, nourri de centaines d’archives, s’inscrit dans le sillage des écrits précurseurs de Pascal Fouché et JeanYves Mollier. Il dresse un tableau exhaustif de l’édition des « années noires » : organisation de la chaîne du livre, stratégies éditoriales entre arrangements, compromissions et clandestinité (éditions de Minuit). Celle-ci, bien que soumise à la censure et aux « listes Otto » – prénom de l’ambassadeur allemand Abetz – qui consignent le millier d’ouvrages retirés de la vente, et aux restrictions en papier, demeure un univers de paris. Ainsi, les 3 000 exemplaires du beau livre de 3 kilos sur Delphes, publié aux jeunes éditions du Chêne, sont- ils vendus en souscription, avant publication. Malgré un prix exorbitant : 3 000 francs, soit un mois de salaire pour un professeur de lycée.
Lire sous l’Occupation par Jacques Cantier, 384 p., CNRS éditions, 25 €