LA ROMANCE EN VOGUE
Devenu une poule aux oeufs d’or de l’édition, le genre est surtout le révélateur d’un phénomène hier décrié, aujourd’hui scruté : l’autoédition.
L’histoire est connue, c’est celle de Cinquante nuances de Grey. Un roman mis en ligne en 2011 sur le propre site de son auteure, la Britannique E.L. James, avant d’être repris par un autre, The Writer’s Coffee Shop, qui le proposa à l’impression à la demande. En 2012, Vintage Books l’édita en livre papier qui se vendit à 40 millions d’exemplaires en dix-huit mois. C’est un fait : le boom de la romance, en tant que segment éditorial, est lié à celui de l’autoédition. Depuis, on associe toujours les deux – un peu à tort [voir encadré].
DES FEMMES EN MAJORITÉ
La romance touche un lectorat estimé féminin à plus de 80 %, qui écrit et lit beaucoup. « Ce public est très fortement associé à l’autoédition et constitue la majeure partie des auteurs du genre que nous avons », remarque Charlotte Allibert, cofondatrice de la plateforme d’autoédition Librinova en 2014. Elle poursuit : « Ces femmes écrivent comme des folles, des sagas de quatre ou cinq tomes et, grâce à l’autoédition, elles peuvent tout publier au fur et à mesure. Dans l’édition traditionnelle, elles attendraient bien trop longtemps et se décourageraient. » Chez Amazon France, la responsable Kindle Direct Publishing, Ainara Ipas, précise : « Nous n’avons pas d’information sur le profil type des auteurs de romance, même si nous observons que les noms ou pseudos de ces derniers sont majoritairement féminins. Cela est dû au fait que les motivations pour s’autoéditer sont extrêmement variables d’une personne à l’autre : certaines ont l’ambition d’accéder au succès, voire de vivre de leur plume, lorsque d’autres veulent juste donner vie à une histoire qu’elles portent en elles, pour la partager avec leurs proches. »
VENTES SPECTACULAIRES
Partager avec des proches, c’est ce que voulait Chrys Galia. Juriste et mère de famille, elle s’est mise à écrire pour relever un défi lancé par sa soeur. Elle approchait la quarantaine quand elle a publié Parier mais pas jouer sur La Boutique des Auteurs, plateforme de l’enseigne Cultura. Cette dernière était alors partenaire de Librinova, qui a suivi l’auteure. Le premier mois, le bilan était de 5 000 exemplaires vendus – dans l’autoédition, on commence à parler de bons chiffres à partir de 2 000 ventes. Six mois après, le livre est devenu une série de quatre volumes écoulés à plus de 17 000 copies (chiffres Librinova). Chrys Galia a depuis intégré le catalogue de Black Moon Romance, la filiale dédiée au genre des éditions Hachette Romans. Et pourtant : « Je n’en avais jamais lu ! Ma formation, c’est Zola, Camus, Baudelaire, Brontë, insiste-t-elle. J’ai juste écrit une histoire qui me passait par la tête. » Avant de se montrer moins naïve : « J’aime la romance parce que s’y expriment des sentiments exacerbés. Et surtout, je l’utilise pour aborder des sujets plus tabous : l’euthanasie, le harcèlement à l’école, par exemple, ce qui est assez loin des codes habituels… »
RESTER MAÎTRE DU JEU
Simplicité et liberté sont les deux principes mis en avant par toutes celles (et ceux…) qui préfèrent ce système. Ils permettent de ne pas perdre confiance, « ce qui est important quand on opte pour une catégorie encore décriée, boudée », affirment Chrys Galia et Charlotte Allibert. Autre choix fort, pointé par Ainara Ipas : « Certains auteurs de romance s’autoéditent car ils veulent garder le contrôle total sur leur oeuvre. » Aujourd’hui, la plupart des éditeurs de livres dits « de genre », dont la romance, scrutent ce territoire immatériel. Ne le considérant plus comme un obstacle, mais comme un vivier.