Règne animal
Un conflit entre deux frères, au moment où les fauves d’un cirque se sont échappés. Avec son troisième ouvrage, le romancier-musicien Bertrand Belin réussit une intrigante parabole politique.
La relation entre frères, parfois, ressemble à un combat de fauves. Si les rugissements et les coups de griffes se révèlent certes peu spectaculaires, ils n’en sont pas moins explicites et insidieux. Ainsi, l’aîné, ambitieux en diable, vient d’avoir une promotion dont il rêvait depuis longtemps. Le voilà enfin « directeur des entreprises de boulons, ressorts et roues dentées » de l’exploitation locale, étendard économique d’une vieille ville portuaire. Nourrissant chaque jour « le vide vorace dont il est devenu l’esclave et l’écrin », le fondateur de la société voit d’ailleurs en ce dernier non pas un élève, mais un véritable « fils spirituel » – même si leurs rapports ont quelque chose d’ambigu. Le « récemment promu », qui « est de cette espèce d’hommes qui signent au bas des documents, non de celle qui les rédige », tient là sa revanche sur son cadet qui, contrairement à lui, a été dès son plus jeune âge un garçon aimé. Faute d’affection, le grand frère a cherché à être redouté, développant au fil
des ans un véritable « art de soumettre », seule forme de création qu’il respecte, à la différence de la peinture et des « croûtes » de son petit frère. Celui-ci, d’ailleurs, expose ses nouvelles toiles au Grand Hôtel, au moment où un cirque monte son chapiteau dans la cité. La fête bat alors son plein, en particulier dans le quartier mal famé du Labyrinthe, où les saltimbanques font couler l’alcool à flots. Mais la grande beuverie peut amener les drames : les fauves se sont échappés et demeurent introuvables. Le valet de cage, qui affirme avoir « bien refait la paille, changé l’eau » et avoir fermé l’enclos, serait-il un fieffé menteur ?
ALIÉNATION DES INDIVIDUS
Connu en tant que musicien et chanteur 1 , Bertrand Belin construit une oeuvre littéraire singulière, composée de brefs romans minimalistes aux airs de paraboles politiques. Après Requin et Littoral, il signe avec Grands carnivores son livre le plus ample et le plus réussi, où chaque mot semble à sa place. Par petites touches et un indéniable sens du rythme, il construit un monde à part entière, reposant sur les oppositions familiales, sociales et philosophiques, sur l’aliénation des individus et sur la peur de l’invisible. Qui n’a pas toujours de crinière…
1. À noter la sortie de son nouvel album,
Persona (Wagram).