Cartes et territoires
John Freeman souligne le côté magique des lieux. Qui nous influencent, certes, mais que nous marquons aussi de notre propre empreinte.
Souvenirs capturés dans un coin de paysage urbain, minuscules frémissements mentaux d’une méditation intérieure… Le regard de John Freeman, ancien directeur de la revue Granta à Londres, n’est pas de ceux qui cherchent l’effet ou l’étincelle. De ses images se dégagent au contraire une sorte de respect millimétré du réel qui n’affectionne ni l’esthétique ni le sentimental. En une série de micro-voyages, il se joue des échelles, superpose les types de lieu, faisant entrer le grand dans le petit, et la clé d’un poème dans son titre.
Le recueil, intitulé Vous êtes ici, s’ouvre par l’évocation des origines. Un grandpère pauvre élevé aux quatre coins de la Californie. Puis la silhouette d’une mère sacrifiée. On passe ensuite de Beyrouth à Alger, et de Sarajevo à Oslo. Le poète tisse la perte, le vide, le sentiment d’être étranger dans des villes jadis familières. La nostalgie d’amours qui ont fait défiler « les heures comme de simples chiffres ». Une foule parisienne « mue par des signaux chimiques », et où « ce soir, tout comme ailleurs, /des milliers d’autres partagent/aussi l’idée qu’une vie n’est pas/seulement une vie, mais un vaisseau/pour le sens que nous lui donnons ». Multipliant les angles, il emprunte des virages et des diagonales invisibles : « lumières, plafonds, empreintes de mains sur le panneau de baskets –/de toutes les topographies, en voilà une que je garde ». L’Américain John Freeman dirige aujourd’hui le site Internet littéraire Literary Hub. Dans ce premier recueil, il tisse cette poésie qui lui a « tenu la main » lorsqu’il a appris les pires nouvelles. Et rappelle qu’ « On ne peut pas se fier à la lumière. Elle a été/ si facilement déviée ».