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Tout un cinéma

L’auteure américaine Dana Spiotta, dont les premiers romans ne sont pas passés inaperçus, explore ici la création artistique et les excès qu’elle peut engendrer.

- Laëtitia Favro

Dans son quatrième roman, encensé outre-Atlantique et parrainé – excusez du peu – par Don DeLillo et Rachel Kushner, Dana Spiotta poursuit son exploratio­n de l’amitié sous toutes ses formes et rend un ardent hommage au septième art. Depuis leur rencontre sur les bancs d’un lycée huppé de Los Angeles, Meadow et Carrie partagent une passion pour le cinéma et rêvent de devenir réalisatri­ces. À l’été 1986, Carrie rejoint Meadow dans son atelier de Gloversvil­le, dans le nord de l’État de New York, où leurs journées oscillent entre fiction et réalité, expériment­ations filmiques et visionnage­s de scènes cultes. Au même moment, une voix chaude et mystérieus­e s’immisce dans quelques villas d’Hollywood : une femme, prénommée Nicole, contacte par téléphone les huiles de l’industrie cinématogr­aphique et les rend, par sa qualité d’écoute et la sensualité de son timbre, dépendante­s de ses appels. Lorsque, des années plus tard, Meadow prend connaissan­ce de l’histoire de Nicole et de son impression­nant répertoire de « victimes » , elle n’aura plus pour seul objectif que de la retrouver et de la convaincre de témoigner dans un documentai­re, quitte à bouleverse­r

le fragile équilibre que son modèle s’était construit après plusieurs déceptions amoureuses.

MENSONGES ET VÉRITÉS

Entre les innocents et les autres, celles qui tiennent la caméra et leurs sujets, la frontière est souvent mince, mais le rapport de force toujours du même côté. Si Carrie et Meadow ont une conception très opposée de leur art (la première réalisant des films légers à dominante féministe, la seconde des documentai­res exigeants et radicaux), la matière travaillée reste l’intime : « Vous farfouille­z dans la vie courante afin de découvrir ce que tous les autres négligent, ou ignorent, ou jettent. » Avec les conséquenc­es que cela suppose. Méditation enlevée sur le rapport aux images et au corps, Les Innocents et les Autres conjugue brillammen­t références cinématogr­aphiques et destinées individuel­les, dans un monde où le numérique n’avait pas encore fait son entrée. Reposant en grande partie sur les témoignage­s de ses protagonis­tes, le récit instaure un jeu subtil entre mensonges et vérités, qui trouve de multiples échos dans nos modes de vie contempora­ins où l’apparence prévaut souvent sur la réalité.

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 ??  ?? HHHHI Les Innocents et les Autres (Innocents and Others) par Dana Spiotta, traduit de l’anglais (États-Unis) par Emmanuelle et Philippe Aronson, 352 p., Actes Sud, 22, 50 €
HHHHI Les Innocents et les Autres (Innocents and Others) par Dana Spiotta, traduit de l’anglais (États-Unis) par Emmanuelle et Philippe Aronson, 352 p., Actes Sud, 22, 50 €

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