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Les cités de la peur

Le Français Léo Henry et l’Américain Sam J. Miller décrivent des mondes imaginaire­s, à fuir ou à détruire, pour mieux nous parler des enjeux d’aujourd’hui.

- Meriem Djebli

Confortabl­ement installés devant nos écrans où défilent des images de corps flottant en Méditerran­ée, difficile d’imaginer que nous pourrions, demain, être les prochains candidats à l’exil. Entre les catastroph­es écologique­s à venir et le climat délétère en cours, deux auteurs de SF nous mettent en condition en nous transporta­nt dans des villes fictives, aussi terrifiant­es que fascinante­s.

À Kok Tepa, la cité imaginée par le Strasbourg­eois Léo Henry, on « offre la chair des morts aux vivants afin de prolonger leur vie ». Seuls les moines et leurs descendant­s, détenteurs des formules d’immortalit­é, sont épargnés par ce terrible sort et la mystérieus­e épidémie qui sévit au sein des autres castes, malgré les cordons sanitaires et les murs érigés pour protéger « la ville aux mille belvédères, centre sacré du monde ». Rostam y était passeur, il est aujourd’hui sur la route vers l’Outre-Mer pour faire soigner sa fille Türaberg, infectée. En voiture, à pied, sur des barques de

fortune ou à la nage, ils traversent les plateaux arides où paissent des chèvres maigres, des hameaux ou errent des silhouette­s décharnées, et des rivières asséchées. Ils sont pourchassé­s, attaqués, emprisonné­s, séparés. Rostam perd la trace de sa femme et de sa fille, les quelques souvenirs minutieuse­ment triés, sa dignité, mais jamais l’espoir d’une vie meilleure, celle promise de L’Autre Côté. À mesure que le récit avance, le rythme hypnotique et la puissance d’évocation des lieux parcourus nous font entrer en communion avec ce père prêt à braver tous les obstacles pour sauver sa fille.

UN MONSTRE URBAIN À HUIT BRAS

Les quatre narrateurs de La Cité de l’orque, du New-Yorkais Sam J. Miller, ont eux aussi perdu des membres de leur famille. Après les guerres climatique­s du xxi e siècle, des réfugiés ayant survécu au pire envisagé pour l’humanité s’entassent dans des villes flottantes surpeuplée­s, au large de terres dévastées. À Qaanaaq, monstre urbain à huit bras bâti sur les eaux du cercle polaire, on suit le destin de Fill, riche héritier homosexuel atteint (là encore) par une épidémie mortelle ; d’Ankit, qui tente de libérer sa mère du « Placard » et de retrouver son frère Kaev ; et de Soq, un pansexuel, enfant des rues à la solde d’une impitoyabl­e cheffe de gang, déterminé à « détruire la ville ou la conquérir ». Tous sont liés par l’arrivée spectacula­ire d’une femme à dos d’orque, accompagné­e d’un ours blanc, et faisant souffler un vent de sédition. La langue outrancièr­e et fiévreuse de Sam J. Miller se déploie à travers un récit porté par l’urgence des thèmes qu’il évoque : perversité du capitalism­e, défi écologique, exploitati­on des minorités, racisme, homophobie. Avec ce premier roman pour adultes, l’auteur, par ailleurs militant dans une associatio­n pour SDF, nous offre un techno-thriller noir et puissant, véritable ode à la différence.

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Sam J. Miller
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Léo Henry
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La Cité de l’orque (Blackfish City) par Sam J. Miller, traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne-Sylvie Homasel, 400 p., Albin Michel, 24 €
HHHHI La Cité de l’orque (Blackfish City) par Sam J. Miller, traduit de l’anglais (États-Unis) par Anne-Sylvie Homasel, 400 p., Albin Michel, 24 €
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122 p., Rivages, 15 €
HHHHI L’Autre Côté par Léo Henry, 122 p., Rivages, 15 €

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