La Révolution porte son nom
Grand écrivain habité et visionnaire, Jules Michelet a fait accoucher le peuple de son Histoire de la Révolution française, sans déroger aux préjugés de son époque. Une oeuvre de référence, aujourd’hui encore.
Michelet (1798-1874), c’est d’abord un style et un souffle, entre épopée et mystique. Il suffit d’un extrait pris au hasard pour s’en convaincre.
À la veille de la bataille de Valmy – le 20 septembre 1792 –, lorsque l’armée du peuple va l’emporter sur l’armée prussienne du duc de Brunswick, il s’enflamme : « C’est avec un véritable sentiment religieux que des milliers d’hommes, à peine armés, mal équipés encore, demandent à traverser l’Assemblée nationale. Leurs paroles, souvent emphatiques et déclamatoires, témoignent de leur impuissance à exprimer ce qu’ils sentent, mais n’en sont pas moins empreintes du sentiment très vif de foi qui remplissait leur coeur. »
UN ANALYSTE DU POUVOIR ET DE L’ÉMANCIPATION HUMAINE
Mais qui est emphatique, le soldat de Dumouriez ou Michelet lui-même ? La lecture de son Histoire de la Révolution française rappelle combien cet anticlérical de choc a usé du registre sacré. L’Histoire n’est-elle pas une « résurrection » ? La Révolution, un « tremblement de terre » , l’annonce d’un monde nouveau et d’un horizon indépassable : une humanité héroïque et libératrice ? Plus encore, la Révolution serait une religion, que ses dirigeants, tous « sceptiques pleins de foi », ont eu la maladresse de ne pas saisir, s’interdisant du même coup de mener celle-ci à son terme.
Aujourd’hui, la fougue déclamatoire de Michelet peut faire sourire, mais elle séduit Flaubert, Malraux et Sartre, qui décèlent un « grand prosateur » doublé d’un « médium ». Certes, cet épisode s’écrit autrement depuis que François Furet a pris, au tournant des années 1965, ses distances avec l’idée commune que la Terreur n’aurait été qu’un simple dérapage. Malgré le poids des ans et des recherches, rappelle dans une préface lumineuse sa biographe Paule Petitier ( Jules Michelet. Histoire d’un historien), l’historien n’en reste pas moins un « analyste essentiel » du pouvoir et de l’émancipation humaine.
Lorsqu’il entame l’écriture du texte, en 1845, il est professeur au Collège de France, directeur de la section historique des Archives, membre de l’Institut. Un notable. Il doit sa renommée à son Histoire de France, interrompue au chapitre « Louis XI » pour se pencher, précisément, sur la Révolution – il la reprendra en 1 867. Mais aussi à son invention du terme « Renaissance » et à sa transfiguration de la sorcière Jeanne d’Arc en sainte laïque. À sa faculté, encore, de faire parler les archives et les « sans voix », et à son insistance sur ce « temps long », dont se prévaudront l’école des Annales, Lucien Febvre et Marc Bloch. UNE GLOIRE POSTHUME
La publication de l’Histoire de la Révolution intervient entre deux fièvres éruptives dont la France a le secret, les journées révolutionnaires de février 1848 et le coup d’État du 2 décembre 1851, qui portera au pouvoir le futur Napoléon III. Comment un historien républicain aurait-il pu être serein dans cette tempête ? Et plus tard, lorsque l’édition se révélera un désastre financier ? Le grand succès d’alors est l’Histoire des Girondins, de Lamartine. L’ouvrage de Michelet ne connaîtra qu’une gloire posthume, lors du centenaire de la Révolution.
En cette fin du xix e, ses deux visions de la France ne sont guère perçues. Pourtant, il faut, selon Pierre Nora, distinguer « celle de la Révolution des droits de l’homme, de l’universalisme, des Lumières » et celle d’une « France chauvine, xénophobe »
( interview au magazine L’Histoire,
avril 2011). Les ennemis de Michelet sont les prêtres, les Anglais et la « juiverie » qui n’a « qu’une patrie, la Bourse de Londres ». Ainsi vont les peuples et leurs thuriféraires, tour à tour grandioses et misérables.