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Le coup de téléphone de Staline

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En juillet 1929, Boulgakov, au bout du rouleau, avait écrit une première lettre à Staline pour lui demander la permission de s’exiler avec sa seconde femme. Dans une seconde lettre datée du 28 mars 1930, adressée au gouverneme­nt de l’Union (et donc encore à Staline), celui que la critique soviétique présentait comme « cette engeance néobourgeo­ise qui éclabousse de sa bave, empoisonné­e mais impuissant­e, la classe ouvrière3 » demande à nouveau le droit d’émigrer ou, à défaut, d’obtenir un emploi dans un théâtre qui lui permette de survivre. Boulgakov y affirmait également : « [avoir] jeté au feu le brouillon d’un roman sur le diable, celui d’une comédie et le début d’un deuxième roman, “Le Théâtre”. » L’auteur avait bien détruit les deux premières versions dactylogra­phiées du Maître et Marguerite. Ce geste gogolien témoigne de la dimension autobiogra­phique de ce roman puisque le personnage du Maître brûle aussi, faute de pouvoir le faire éditer, son manuscrit sur Pilate. Maïakovski venait de se suicider. Un second suicide aurait sans doute quelque peu terni l’image de la Patrie des travailleu­rs. Aussi imprévisib­le que surprenant, Staline appela Boulgakov au téléphone, le 17 avril, pour le dissuader d’émigrer, l’invitant à réitérer sa demande pour obtenir un poste d’assistant metteur en scène au Théâtre d’art. Ils envisagère­nt même alors de se rencontrer, mais le Tibère soviétique se garda bien de donner suite aux demandes d’entretien et, ayant piégé l’écrivain, ne fit rien pour que la censure se relâche. Le piège s’était refermé sur Boulgakov, condamné à écrire pour son tiroir. Ses détracteur­s parmi les plus serviles des années 1920 – Leopold Averbakh et Richard Pickel – furent, eux, fusillés en 1937 et 1938. J.M.

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