Que peut la littérature ?
Quelques semaines après un funeste tremblement de terre en Haïti, François Busnel revenait dans son éditorial sur la puissance des mots, bien réelle, face à la catastrophe.
À «quoi sert la littérature en ces temps de catastrophes ? C’est la seule question qui vaille, au fond. Elle a été posée, une fois de plus, au lendemain du séisme du 12 janvier 2010, par tous ceux dont les regards se tournaient vers Port-au-Prince. Cette question, on ne la formule qu’après les tragédies. Pourquoi ne s’en empare- t- on pas par temps de paix ? Pourquoi ne pouvons-nous y répondre avant que tout s’écroule ? Cette question n’a rien d’un sujet du bac ni d’un pensum pour érudits. C’est la question de la survie de la civilisation. Tout simplement.
Que peut la littérature, donc ? Sur le moment, nous en sommes tous conscients, rien. Rien du tout. Ajouter des mots aux maux ne satisfait personne. Cela renforcerait presque, à la limite, notre mauvaise conscience. Les écrivains ne sont pas médecins, ni pharmaciens, ni pompiers. Et pourtant… Pourtant, deux jours après le désastre, la voix de l’un d’entre eux s’est élevée, suivie de celles de dizaines d’autres. Et l’espoir est revenu. C’était Dany Laferrière […], qui était sur place, à Port-au-Prince : “C’est la culture qui nous sauvera. Ce tremblement de terre est un événement tragique, mais la culture, c’est ce qui structure ce pays. Lorsque les repères physiques tombent, il reste les repères humains.” […]
Les mots d’un écrivain sont les seuls qui parviennent à nous tirer de la torpeur dans laquelle nous tient le confort moite de nos vies. Haïti est un pays d’écrivains. Qui se battront pour que ne triomphe jamais l’expression – stupide – reprise à l’unisson par les médias : “Haïti année zéro.” Non, 2010 ne sera pas l’année zéro. […]
La reconstruction se heurtera d’abord, me direz-vous, aux pièges de la politique. Au piège de la dictature et à celui de la corruption. Au piège de la lenteur diplomatique et à celui de l’impérialisme – quand bien même ce dernier se parera du masque de la bienveillance. C’est vrai. Mais ce sont les mots – encore eux – qui pourront déjouer ces pièges. Les mots grâce auxquels vient la pensée. La littérature, c’est-à-dire ce par quoi nous pensons. »