Éric Mension-Rigau*
« Les Rohan ont la même adresse depuis mille ans »
Dans un monde où tout change toujours plus vite, la noblesse fascine car elle donne l’impression d’avoir le secret de la longévité, avec comme point d’ancrage le château, lieu de la mémoire et du temps thésaurisés – à Josselin, en Bretagne, les Rohan ont la même adresse depuis mille ans. Cette minorité de cent mille personnes se retrouve à l’ANF (Association d’entraide de la noblesse française), à la vente de L’OEuvre des campagnes et au Jockey Club, qui a su garder son style foncièrement aristocratique. Si le baisemain se perd, les nobles restent attachés à une forme d’élégance dans la
relation à autrui, aux valeurs de la chevalerie et de la charité chrétienne. Demeure aussi un art de la conversation qu’illustrait bien Jean d’Ormesson : le goût de la formule brillante, nourri de la lecture des moralistes, une forme de légèreté avec des pointes d’ironie qui savent ne pas aller trop loin – la méchanceté, ce n’est pas le fameux “esprit Mortemart”, cher à Saint- Simon, bien qu’on entende des choses très dures aux cocktails du Jockey… Le gentilhomme moderne pourrait être incarné par monseigneur de Romanet ou le comte Jean-Dominique Senard, qui vient de remplacer à la tête de Renault l’épouvantable Carlos Ghosn. Le refrain associant noblesse et déclin n’est pas d’actualité, un grand nombre de familles se maintiennent, même si on
peut s’effondrer vite, comme le duc de Maillé, qui a vendu son château et appelé un fils Kevin, ce qui est un mauvais signal – dans le Bottin mondain, on ne compte que quatre Kevin nobles ! Aujourd’hui, les nobles travaillent. Pour garder leur singularité et ne pas se diluer dans les classes supérieures hors-sol, ils doivent sauvegarder ce qu’on ne peut pas acheter : leur bonne éducation et le lien avec leur passé. »
Propos recueillis par Louis-Henri de La Rochefoucauld * Dernier livre paru : Enquête sur la noblesse. La permanence aristocratique (Perrin).