Sonnets retrouvés
Reprenant avec bonheur cette forme poétique, genre de prédilection des plus grands poètes du xvie siècle, Pierre Vinclair raconte le quotidien et s’adresse à ses proches avec une grande modernité.
De l’audace, encore de l’audace ! Il en fallait au jeune poète Pierre Vinclair, Français de 37 ans installé à Singapour, pour se lancer dans la composition de ces soixante- dix- sept sonnets réguliers, guère dans l’air du temps. À chaque fois ou presque, deux quatrains suivis de deux tercets, chaque vers se tenant exactement sur ses douze pieds, selon les règles d’un art artisanal dont l’écrivain manie les possibles avec une déconcertante modernité. Illustrant l’étonnante plasticité de cette forme ancienne, le poète s’en saisit pour en faire le tremplin ceinturé
de son journal de bord, et de réflexions sur la vie, la poésie, son expérience de l’écriture. Certaines pages sont d’un reposant prosaïsme : rêvasser d’un futur déménagement, regarder ses deux filles jouer dans un parc, ou arpenter les « chemins engorgés de marchands de machins » dans les rues de Shanghai. D’autres tissent des fragments de correspondance ou de dialogue avec des proches : « Ivan, ne prends pas tout de suite un billet pour/ Shanghai : il se pourrait que nous quittions la Chine/au début de l’été. Une grosse semaine-/ quinze jours : nous saurons dans un délai très court. » Passant des scènes les plus ordinaires aux interrogations réflexives les plus vivement incarnées, le poète déploie une langue enthousiasmante où rimes et sens des phrases font danser « le corset des mots »: « La fin de l’apartheid, la cirrhose du foie d’un ami proche ou la perte de mes cheveux,/une naissance ou un enterrement : je veux/ mettre dans le poème et la peine et la joie. »