La victime
Le polar est-il un genre misogyne ou bien le reflet d’une société qui a toujours fait de la femme une proie idéale ? Ce genre littéraire a en tout cas fait, au fil de son histoire, un nombre incalculable de victimes parmi la gent féminine. Mais les femmes
Roman noir et roman policier n’ont jamais été tendres avec les femmes, leur conférant souvent la posture de petites choses fragiles attendant naïvement que le meurtrier fasse son office. Prenez la pauvre Elizabeth Short dans Le Dahlia noir de James Ellroy : il nous faut à peine dix pages pour découvrir son corps atrocement mutilé dans un terrain vague de Los Angeles. Rappelez-vous, dans Le Démon dans ma peau de Jim Thompson : la violence de cette scène où Joyce Lakeland tombe sous une pluie de coups. Parfois, les femmes victimes sont même trop nombreuses pour avoir droit à un nom de famille et à une véritable histoire.
VOYAGE AU BOUT DE L’ENFER
Dans Le Silence des agneaux de Thomas Harris ou dans Le Bonhomme de neige de Jo Nesbø, par exemple, elles ne sont que les victimes anonymes d’un tueur en série diabolique. Certaines, bien sûr, en réchappent, souvent grâce à l’intervention, in extremis, des forces de l’ordre, parfois par elle-même, du fait de leur courage. Mais ne nous voilons pas la face, ce sont essentiellement des fantômes de femmes qui hantent la mémoire des lecteurs de polar. Et quand elles ne sont pas directement les victimes, elles sont celles à qui l’on a tout pris. Les veuves éplorées, les mères déchirées. Leur tristesse, leur colère, leur angoisse donnent lieu à des scènes marquantes.
Le tableau dressé est exagéré ? La caricature est volontaire. Les codes archaïques du polar ont évidemment évolué et les personnages féminins ne sont plus des demoiselles en détresse ou, pire, de la chair à canon. Dans le polar comme ailleurs, l’heure est à la révolte. Une révolte qui se transforme souvent en une soif de vengeance jouissive, les personnages
ÊTRE UNE FEMME LIBÉRÉE
Le rape and revenge, ces histoires de femmes violées qui décident de massacrer leurs bourreaux, en sont l’illustration parfaite. Au cinéma, avec des classiques comme Crime à froid (dont Tarantino s’est beaucoup inspiré pour écrire Kill Bill), puis en littérature. Comment ne pas voir en Lisbeth Salander la chef de file de cette rébellion ? D’abord battue, humiliée, violée, l’héroïne de la saga Millenium (2005) devient la femme la plus rebelle de la littérature mondiale. Et le public en redemande, comme soulagé que cette violence faite aux femmes par les hommes puisse se retourner contre eux. D’ailleurs, comme un symbole, le Staunch Book Prize récompense, depuis l’an dernier, l’auteur d’un polar dans lequel aucune femme n’est « battue, violée ou tuée ». Aux hommes de souffrir maintenant ! Léonard Desbrières