Le secret des mille clochers
Avec en tête le souvenir d’un tableau aperçu lors d’un précédent voyage, Jean-Paul Kauffmann tente de se faire ouvrir les églises fermées de la Sérénissime. Une quête érudite, intense et patiente.
Il a longtemps résisté à la tentation. Non, Jean-Paul Kauffmann n’allait pas ajouter son nom à la longue liste d’écrivains ayant consacré des volumes à Venise. L’auteur de La Chambre noire de Longwood et de Remonter la Marne a heureusement fini par capituler et par relever à son tour le défi avec panache. Il a, pour cela, réalisé un vieux rêve : habiter plusieurs mois dans la ville aux mille clochers, la ville des amoureux. À ses yeux, celle
« de la jouvence et de l’alacrité ». Accompagné de Joëlle, madame son épouse, notre homme a posé le pied dans la Sérénissime avec ses caisses et ses sacs, ses livres et son cher bordeaux. Le voici qui s’installe dans un appartement de la Guidecca, pied- à- terre à l’écart de la foule. Plus voyageur que touriste, Kauffmann a une idée derrière la tête. Une quête
peu banale, ce qui n’étonnera pas ses fidèles lecteurs. Retrouver un « miroitement » survenu lors de sa première visite sur place en 1968 ou 1969, sur le chemin du retour après de longues vacances. Il lui faut alors trouver le moyen de pénétrer dans les églises closes aux trésors cachés. Ce qui n’est pas chose facile sans l’intervention du Grand Vicaire. Un personnage, d’abord longtemps insaisissable, qu’il soupçonne de protéger de manière excessive le patrimoine local.
Rôdeur et explorateur dans l’âme, l’enquêteur raconte ses tâtonnements et les obstacles qu’il rencontre sur sa route. Il évoque Morand, Sartre, Lacan et Sciascia, les grandes heures de la peinture italienne, ou ses moments passés auprès d’Hugo Pratt avec une même verve. Venise, nous dit-il, est une ville hors du commun qui ne crée aucun temps mort, une cité éprouvante où l’on ressent intensément. Lui est plutôt du genre à prendre son temps, à laisser venir. À déjeuner tranquillement sur sa terrasse, à flâner en début de soirée, à fumer un cigare avec recueillement et délectation face aux Gesuati en se montrant un « omnivoyeur » à la plume raffinée. Conteur passionnant et savoureux, érudit jamais pédant, Jean-Paul Kauffmann donne envie de retourner illico à Venise et d’y mettre nos pas dans les siens. Andiamo !