Éternel recommencement
Comme un air de tragédie grecque, dans ce second roman de l’auteure Selva Almada, quand rien ne peut conjurer la fatalité des événements.
I « l fut un temps où Pajarito Tamai et Marciano Miranda étaient amis. » Nés à quelques heures d’intervalle dans le même hôpital, tous deux fils d’un fabricant de briques dans les environs de La Cruceña, Pajarito et Marciano grandissent au sein de la même bande, apprennent à se battre sur le même terrain vague, inséparable duo que la fierté et l’orgueil font un jour s’affronter, comme leurs pères avant eux. Parce qu’un même territoire ne peut compter deux coqs sur son sol, Oscar Tamai et Elvio Miranda s’étaient livré une guerre sans merci, jusqu’à l’assassinat du second, criblé de balles et égorgé au sortir d’un bar. Des querelles dont l’origine se perd dans les vapeurs de l’alcool et l’implacable brûlure du soleil au zénith. Et ce sont désormais les pères disparus qui observent, de là-haut, les corps de leurs fils à l’agonie, allongés sous la grande roue témoin de leur complicité d’antan, à présent tailladée par des couteaux. L’histoire qui se répète, inlassablement : « Ici, on n’y arrive pas, ici, il faut que tout soit violent, que tout s’obtienne par la force. »
Reconnue comme l’une des nouvelles voix de la littérature hispanophone, l’auteure argentine livre, avec Sous la grande roue, un second roman dans la lignée d’Après l’orage, d’une écriture aussi prodigieusement figurative et sobre, au diapason de la violence inhérente au corps social défavorisé qu’elle décrit. Dans cette tragédie aux accents shakespeariens, dont le titre original, Ladrilleros, renvoie au métier des pères tous deux briquetiers, chaque provocation, chaque injure apporte sa pierre au mur de haine érigé entre deux familles rivales qu’un amour impossible aura pourtant rapprochées dans un corps-à-corps passionné, l’espace d’une nuit. Avec empathie et humanité, Selva Almada redonne voix à ceux qui en sont d’ordinaire privés, et propose le portrait saisissant d’une masculinité consumée par la chaleur, l’alcool et les désirs inassouvis.