Dire, ne pas dire
Début mars, l’Académie française s’est prononcée en faveur de la féminisation des titres et des métiers. A-t-elle cédé au conformisme ou bien accompagné une évolution de la société ? Quatre écrivaines nous donnent leur avis sur ce sujet.
Depuis 1635, l’Académie définit la langue française dans un dictionnaire qui en fixe l’usage. Quelques jours avant la Journée des droits des femmes, elle a tranché un débat ancien et houleux en adhérant à la féminisation des titres et des métiers. « Je n’ai pas été surprise, avoue la romancière Leïla Slimani. Les métiers se féminisent, les femmes revendiquent leur juste part du monde et la langue est le reflet de cette évolution. » Un sentiment partagé par l’écrivaine haïtienne Yanick Lahens. « C’est une bonne chose et, surtout, il était temps. La langue n’attend pas, elle avance », affirme celle qui tiendra jusqu’à fin juin la nouvelle chaire Mondes francophones du Collège de France.
Doit-on en déduire que l’Académie française sera toujours en retard sur la langue ? « Les linguistes nous ont appris que la langue appartient au peuple qui la parle. Et il est évident que les gens aiment marcher, sauter et gambader hors des balises. » Cependant, pour tordre la langue, pour la contourner, il faut des règles, rappelle Leïla Slimani, également représentante personnelle
du président de la République pour la Francophonie. La romancière italosénégalaise Aminata Aidara, qui écrit en français et en italien, avoue d’ailleurs une affection particulière pour la vénérable institution, condamnée à ratifier l’évolution de « quelque chose de fuyant et d’insaisissable : la langue ». « J’aime l’idée qu’elle existe, parce que j’y trouve des réponses à mes doutes de francophone d’adoption, mais aussi parce qu’elle nous donne l’opportunité de la critiquer et, en la critiquant, donc en forçant ses frontières linguistiques établies, on est animés par une motivation qui nous rend conscients de l’empreinte du langage dans la pratique de nos vies. »
« ACADÉMIE FRANCOPHONE » ?
L’Académie française jouit même, selon Aminata Aidara, d’une « aura de prestige » au Sénégal, où ses règles valident ce qui relève ou non du bon français. Toutefois, dans un espace francophone voulu ouvert et décentré, dicter les règles depuis Paris, n’est-ce pas rigide, et un peu trop à sens unique ? Leïla Slimani le rappelle : l’Académie française, qui compte Amin Maalouf, Andreï Makine ou encore Dany Laferrière parmi ses membres, est depuis longtemps ouverte sur les mondes francophones. Est- ce suffisant ? Faut-il renommer l’Académie française, « Académie francophone », comme le suggère Aminata Aidara ? Peine perdue, selon l’écrivaine Bessora, qui aura le dernier mot : « Il ne suffit pas de mettre l’habit vert à Senghor ou d’avoir quantité d’académiciens ouverts sur l’extérieur pour sortir l’institution du mythe hexagonal et la convertir à la francophonie. La croyance est toujours plus forte que la connaissance. L’Académie sait sûrement que le français n’est pas une propriété nationale que la banlieue et les étrangers nous empruntent. Mais l’institution ne peut pas ou ne veut pas y croire. Je ne pense pas qu’on puisse la forcer à changer de religion… »