FANTASTIQUE/ ROMANCE
Sonde nos peurs enfouies et nous plonge dans une atmosphère oppressante où le réel n’est plus ce que l’on croit.
S’il y a un fusil au début d’un livre, le coup partira avant la fin. » Et le coup, dans le troisième livre de Xavier Lapeyroux, qui cite ici une réplique du film Arizona Dream, part très vite. Dès les premières phrases, le ton est donné avec la mort d’un adolescent tué accidentellement par son frère jumeau lors d’une séance de tir au fusil, au fond de leur jardin.
Hermann, le narrateur, qui vit en face avec sa fille de 16 ans, Sam, et sa femme, Soma, ne s’en remettra pas. Cet amateur de jeu d’échecs en solitaire, éducateur dans un centre pour jeunes en difficulté, s’était réfugié dans ce quartier résidentiel, « une zone préservée » près d’un lac et d’une forêt, pour échapper au tumulte de la ville, aux « ondes électromagnétiques » et aux « détraqués qui traînent ». Avec cette mort tragique, ce sont toutes ces certitudes qui volent en éclats. « Le danger est malin, il fait diversion et vient nous encercler tandis qu’il porte en nous une seconde attaque, à l’intérieur, invisible à nos yeux.» L’orage qui menace d’exploser à tout
moment, chargeant l’air de particules suffocantes, ne fait qu’empirer les tensions. Autour du lac, le monde bascule peu à peu. Le lendemain du drame, sur l’autre rive, une maison identique à celle d’Hermann est sortie de terre. Et il semble être le seul à s’en inquiéter. Des camarades de classe de Sam disparaissent les uns après les autres, et les gendarmes chargés de l’affaire n’ont toujours aucune piste. Sans compter qu’Oscar, le « frère assassin », passe un peu trop de temps avec l’adolescente à traîner dans les bois près du lac, où un dangereux molosse rôde depuis l’apparition de cette mystérieuse maison habitée par une femme ressemblant étrangement à la sienne. Décidé à en découdre avec « ces ennemis invisibles » , Hermann, qui ne voit plus que « des corps sans âme, des aliens à l’apparence humaine », est prêt à tout pour protéger sa fille, sa femme et les jeunes du centre où il travaille. UN FASCINANT SENTIMENT DE MALAISE
Comme dans un film de David Lynch, les événements étranges viennent s’entrechoquer à des visions cauchemardesques. Hallucinatoires ou bien réelles, elles créent un sentiment de malaise d’autant plus effrayant qu’il en est fascinant. Bercé par les mélopées sombres et envoûtantes de Beth Gibbons et de Cat Power que Sam écoute en boucle, De l’autre côté du lac est un thriller psychologique teinté de fantastique bien maîtrisé, explorant la figure du double, à la croisée de
Lunar Park de Bret Easton Ellis et de
L’Invasion des profanateurs, dont les répliques résonnent sans cesse dans la tête d’Hermann. Plongé dans les « flux chaotiques » du subconscient du narrateur, emporté par le style percutant de ce roman troublant, le lecteur aura, lui aussi, du mal à s’en remettre.