ESSAIS/DOCUMENTS
Edith Sheffer nous plonge dans l’enfer des hôpitaux pédopsychiatriques, où sévissaient des scientifiques nazis… Glaçant !
Après avoir appris que son fils était autiste, l’historienne américaine Edith Sheffer entame des recherches sur le syndrome d’Asperger. Elle découvre alors l’homme derrière le nom de la maladie. Hans Asperger a élaboré les premières théories sur cette psychopathologie à Vienne, dès les années 1930. Quarante ans plus tard, ce scientifique respecté raconte qu’il a sauvé des dizaines d’enfants sociopathes de la mort, au mépris de sa propre vie. Le médecin aime les enfants. Chacun est unique à ses yeux. Il insiste sur la nécessité de toucher leur âme pour les soigner. Alors, pourquoi les psychologues quittent-ils si rapidement son service ? Pourquoi sont-ils ulcérés par la dureté de cet homme capable de frapper un enfant au ventre et de le qualifier « d’agressif » parce que celui-ci a répondu à l’attaque par un regard noir ? Qui est Hans Asperger ? Certainement pas le Schindler des autistes !
RÉÉDUQUER EN BONS NAZIS Dans Les Enfants d’Asperger, on découvre un jeune garçon passionné de lettres et de langues. Hans pourrait d’ailleurs lui- même être considéré comme un autiste à haut potentiel, mais il n’élaborera ce diagnostic à partir de ses théories qu’en 1937. Fortement imprégné par l’idéologie nazie, en vogue dans les milieux médicaux depuis l’Anschluss, il révise ses hypothèses dès 1938 pour se conformer aux attentes pédagogiques du iii e Reich. Peu importe leurs différences, tous les enfants anormaux souffrent désormais du même mal : ils manquent de Gemüt. Il s’agit d’un concept qualifiant un tempérament chaleureux enclin au lien social et au patriotisme. Un bon Allemand n’en manque pas, à l’instar d’Hitler. Rééduquer les enfants dépourvus de Gemüt pour en faire de bons nazis utiles à la société est une priorité du régime, et si leur cas est sans espoir, autant les euthanasier puisque leur vie est « indigne d’être vécue ».
DES COBAYES
POUR LES CHEFS DE SERVICE
Le travail d’Asperger est d’estimer si un enfant est normal ou non. S’il ne l’est pas, il peut l’arracher à sa famille et l’envoyer en centre de redressement ou en clinique psychiatrique. Si ce traitement s’avère insuffisant, l’enfant est transféré dans le service de ses collègues du Spiegelgrund. Ces pavillons enchâssés dans un écrin de verdure sont le théâtre d’abominations. La quarantaine d’enfants jugés inaptes à la vie en société qu’Asperger y fait hospitaliser deviennent les cobayes des chefs de service : le Dr Illing et le Dr Jekelius. Ce dernier a même été fiancé à la soeur d’Hitler , c’est dire s’il adhère pleinement à l’hygiène raciale prônée par les nazis. Là, les enfants servent aux expériences les plus violentes, depuis l’exposition à des températures extrêmes jusqu’aux tests pour développer le BCG. Au moins 789 enfants y mourront pendant la guerre. En fouillant les archives et les témoignages des survivants, Edith Sheffer découvre qu’Asperger n’a pas sauvé beaucoup d’enfants. Les filles ne trouvent jamais grâce à ses yeux. Seuls les garçons issus de bonnes familles et dont le trouble autistique est couplé à un haut potentiel intellectuel l’intéressent. Il est convaincu de pouvoir mettre leurs talents au service du peuple. Ainsi le médecin a-t-il largement contribué à ouvrir le spectre autistique à des comportements antisociaux variés, allant de la dépression à la création artistique. En s’appuyant sur ses recherches, 1 enfant sur 68 a été diagnostiqué autiste aux États- Unis en 2016. À la fin de son ouvrage, Edith Sheffer s’interroge. Faut-il continuer à appeler Asperger les autistes à haut potentiel intellectuel alors que le médecin viennois trouvait naturel d’éliminer les « idiots » ?