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Vous n’aurez pas le dernier mot

- DIANE DUCRET

N’en déplaise à ces messieurs, les femmes relèvent le niveau dans l’art de tirer sa révérence

Il ne suffit pas d’être un grand homme, il faut l’être au bon moment. Après avoir passé sa vie le nez dans sa bibliothèq­ue, sentant son dernier souffle arriver, Paul Valéry flatte ses livres du regard et dit, dans un ultime regret : « Décidément, tout cela ne vaut pas un beau cul. » Illuminer l’humanité de poésie et de pensées pour ne laisser, comme derniers mots, que les appétits premiers ? Un grand homme, vous dis-je, dois l’être au bon moment !

Mais que dire d’une grande femme ? Un dimanche de janvier 1971, Mademoisel­le Chanel revient de promenade. Elle croise le concierge du Ritz qui lui demande comment elle se porte : « Je vais très bien mais dans une heure ou deux je serai morte. » Il rit. Elle rentre chez elle, s’allonge sur son lit simple et appelle sa femme de chambre. La bonne Jeanne tente de la rassurer. Mademoisel­le Chanel se tient la poitrine, habillée et maquillée. Elle réajuste ses cheveux, vérifie son teint et sa tenue et lui dit droit dans les yeux : « C’est comme cela que l’on meurt. » Indémodabl­e, imbattable. Enfin, peut- être par Mata Hari. La belle sulfureuse, soupçonnée d’espionnage et d’intelligen­ce avec l’ennemi, est condamnée à être passée par les armes, le 15 octobre 1917 à Vincennes. Refusant le bandeau qu’on lui propose, elle s’adosse au poteau d’exécution, lance un dernier baiser aux douze soldats du peloton et leur lance : « C’est la première fois qu’on m’aura pour 12 balles. »

N’en déplaise à ces messieurs, les femmes relèvent le niveau dans l’art de tirer sa révérence. Elles font dans la sobriété, évitent les plaintes, les adieux

larmoyants… Elles ont une sorte de résignatio­n sublime, elles savent mourir aussi bien qu’elles savent aimer, bellement. 17 décembre 1987, Marguerite Yourcenar, celle qui disait « il faut beaucoup aimer les hommes, beaucoup. Autrement on ne peut pas les supporter », se sédimente dans sa chambre de l’hôpital de Bar Harbor, aux États-Unis. L’infirmière écoute la dernière phrase de Yourcenar… « Il doit bien y avoir un paradis quelque part. » George Sand écrit, quant à elle, un dernier billet à son neveu : « Ne t’inquiète pas. J’en ai vu bien d’autres et puis j’ai fait mon temps, et ne m’attriste d’aucune éventualit­é. Je crois que tout est bien, vivre et mourir, c’est mourir et vivre de mieux en mieux. Ta tante qui vous aime. » Je me suis toujours demandé si les hommes et les femmes avaient la même manière de quitter la scène. Les hommes semblent plus comédiens, les femmes plus tragédienn­es.

La plus grande des tragédienn­es, Sarah Bernhardt, disait toujours « j’aime mieux mourir en plein combat que m’éteindre dans les regrets d’une vie manquée ». Sentant l’heure des derniers mots arriver, elle enfile sa longue robe de satin blanc, épingle sa Légion d’honneur sur son sein, s’allonge dans son lit à colonnes, crucifix à la main. Elle a depuis longtemps acheté son cercueil, en poirier et bois de rose, capitonné de satin blanc lui aussi. Sa manucure entre pour lui faire les mains, la trouve allongée dans le cercueil, elle repart en poussant des hurlements. Sarah Bernhardt déclame alors sa dernière tirade. « Je veux des fleurs, beaucoup de fleurs. »

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