Lire

Certains l’aiment Jo

- JOSYANE SAVIGNEAU

« Le combat d’une authentiqu­e héroïne contre les calamités qui se sont abattues sur elle »

Philip Roth, mort le 22 mai 2018, n’aura pas la joie de voir ce qu’il souhaitait depuis longtemps : la publicatio­n, en France, de l’autobiogra­phie de son amie Janet Hobhouse, The Furies – le titre français, Nos vies consumées, n’est pas exact. Après leur liaison dans les années 1970 – Janet avait un peu plus de 20 ans –, ils étaient restés amis. Roth l’a accompagné­e dans sa lutte contre la maladie et, quand elle est morte en 1991, il a payé son enterremen­t et sa pierre tombale sise dans le cimetière de Cornwall (Connecticu­t), près de sa maison de campagne. À la fin de sa vie, il parlait volontiers de cette belle femme, soulignant qu’elle avait écrit un bon livre sur Gertrude Stein, deux romans plutôt médiocres et une excellente autobiogra­phie inachevée. « Un livre sombre, rude et puissant, un livre superbe, qui retrace le combat d’une authentiqu­e héroïne contre les calamités qui se sont abattues sur elle », écrivait-il au moment de sa publicatio­n posthume, en 1993.

Nos vies consumées est un livre plein d’énergie et de fureur de vivre. Dans cette famille juive venue de Francfort au milieu du xix e siècle, on ne parlait jamais du passé, de cet héritage que Janet Hobhouse essaie de retrouver. Dès le prologue, elle précise ce qui sera le coeur de son récit : « Mon histoire est la même que celle de ma mère, de ma tante, de ma grand-mère. Notre vie à chacune a été régie par une mère, bonne et mauvaise, un visage du destin totalement féminin, qui souriait au début puis devenait carnassier. » Janet

– qui s’appelle alors Helen – passe son enfance avec une mère artiste, dépressive, perpétuell­ement fauchée, qui la met pourtant dans une école chic où elle se sent mal à l’aise, décalée, mal habillée. Une mère qui « vit dans les nuages.

Le temps n’est pas le même pour elle que pour moi ». Le père, lui, est en Angleterre. Elle le rejoint à la fin de l’adolescenc­e. Elle doit subir ses remarques, son antiaméric­anisme viscéral. Elle y reste cependant et est admise à Oxford. C’est là qu’elle tombe amoureuse pour la première fois, de Hugh. Pendant son absence, elle se lie avec Edward, ce qui lui vaudra une remarque acerbe dudit Hugh : « Tu vas passer d’une liaison à l’autre en détruisant les gens. » Après bien des péripéties, elle se marie avec Edward et revient à New York, où sa mère a désormais un jeune amant de 18 ans. Dans l’ascenseur de son immeuble, elle croise un homme qu’elle reconnaît immédiatem­ent. Ce Jack Vronsky, écrivain célèbre, n’est autre que Philip Roth. Elle en fait un long portrait, très juste, dont voici quelques mots : « Grand, mince, avec des épaules larges, il avait une irrésistib­le présence physique, une vigilance et une énergie contenue plus prédatrice­s qu’athlétique­s, et des yeux noirs liquides jamais immobiles sous d’épais sourcils. »

Ils prennent des cafés ensemble, puis déjeunent et, finalement, vivent une histoire d’amour dont Janet Hobhouse parle avec délicatess­e, s’étonnant seulement qu’il l’ait, dans un roman « transformé­e en une espèce de gente dame anglaise aux limites de la sainteté ». Il s’agit de Maria Freshfield, dans La Contrevie, et l’ascenseur est bien là, qualifié de « deus ex machina ». Après cette belle aventure, il y a une vie de couple pas très heureuse, le suicide de sa mère et ce cancer, qui l’empêche de terminer son livre. Roth, qui allait souvent se recueillir sur la tombe de Janet, lui dédiera Le Théâtre de Sabbath où le héros se rend régulièrem­ent au cimetière, pour parler à Drenka, morte d’un cancer des ovaires, comme Janet.

 ??  ??
 ??  ?? Nos vies consumées (The Furies) par Janet Hobhouse, traduit de l’anglais (ÉtatsUnis) par Anouk Neuhoff, 368 p., Rue Fromentin, 23 €
Nos vies consumées (The Furies) par Janet Hobhouse, traduit de l’anglais (ÉtatsUnis) par Anouk Neuhoff, 368 p., Rue Fromentin, 23 €

Newspapers in French

Newspapers from France