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Par les livres et par les champs

- SYLVAIN TESSON

La tragédie revenait sur la scène du monde

Qu’est- ce qu’un héros ? La définition est périlleuse. Est-il un archétype universel ou bien une figure « de notre temps » rassemblan­t les vertus d’une époque particuliè­re ? On pensait ces questions remisées au grenier romantique. Voilà que le problème nous concerne à nouveau, nous autres Européens du xxi e siècle. Après le 11-Septembre 2001, l’Occident s’aperçut que l’Histoire n’avait pas de « fin » (contrairem­ent à ce qu’avait pensé le politologu­e Fukuyama dix ans plus tôt). La tragédie revenait sur la scène du monde et nous avions à nouveau besoin des héros. Nul ne sait qui ils sont. Chacun les désigne selon son point de vue. Ils pullulent. Un jour, le héros est un footballeu­r, le lendemain un manifestan­t amoché, un autre jour Superman, une autre fois un pompier audacieux. Il fallait remettre de l’ordre dans la définition.

Andrea Marcolongo, très remarquabl­e (et très remarqué) auteur de La Langue géniale (une déclaratio­n d’amour à la vision du monde hellénique, parue aux Belles Lettres en 2018) compose sa propre définition. Elle la veut éternelle, survolant les siècles, pouvant servir à mener la barque de nos existences dans les temps difficiles. Pour l’exercice, l’Italienne use de sa double méthode. Demander aux textes antiques de livrer leurs enseigneme­nts : « je me réjouis lorsque je me rapproche un tant soit peu de l’idée du monde grec ». Remonter ensuite au sens des choses grâce à l’étymologie divinatoir­e : « je suis tombée amoureuse de cet art très étrange ».

Dans La Part du héros, Andrea Marcolongo médite le poème d’Apollonios de Rhodes, écrit au iii e siècle avant Jésus-Christ. Le texte raconte le mythe de Jason et des Argonautes. Tout commence mal. Jason n’est qu’un enfant, son oncle, Pélias, lui impose d’aller chercher

la Toison d’or en Colchide. Les Argonautes sont inexpérime­ntés et le bateau, Argo, est le « premier navire de l’histoire à avoir largué les amarres ». Comment ce mouflet peut-il prétendre devenir un héros ? Andrea tisse son récit (j’allais écrire sa « tapisserie »). Sur la mer Égée, la mer Noire, à travers la Thrace et la mer Ionienne, Jason ( comme Ulysse en son temps) est soumis aux épreuves. Le garçon doit relever les défis de tout homme antique : ne pas dévier de sa course, ne pas succomber à la démesure, ne pas flancher, ne pas surestimer sa force, savoir mêler la puissance et la ruse – avec mesure. Et Andrea découvre le premier axe de l’héroïsme : Jason est un héros alors même qu’il n’a pas encore remporté de victoire. Par quel miracle ? Parce qu’ « il avait choisi de se dépasser lui-même pour devenir adulte, pour découvrir sa mesure héroïque dans la lointaine Colchide » . La voilà, la révélation de Jason, analysée par l’helléniste : « Le héros est celui qui décide de sa vie… » et qui accepte d’ « accomplir quelque chose de grand » et de ne jamais cingler « à l’encontre de soi-même ». Andrea poursuit la navigation : qu’est-ce qui permet à l’homme de ne pas se dédire ? « Il n’y a qu’une force qui puisse pousser les hommes à devenir des héros : l’amour. » Avec la Toison, Jason ramène en Thessalie la belle Médée, la femme ambiguë, aux « sentiments si opposés », dont l’auteur avoue qu’elle « représente toutes les femmes qui habitent en nous » ( diable ! méfiance ! se dit le lecteur amoureux).

Bref, si vous visez l’héroïsme, peu importe que vous soyez novice ! Écoutez Andrea et suivez Jason, larguez les amarres, ne vous donnez pas un « alibi pour ne pas vivre » et, surtout, n’oubliez pas d’aimer. La Toison d’or vous attend, pour peu que vous le vouliez.

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La Part du héros. Le mythe des Argonautes et le courage d’aimer par Andrea Marcolongo, 272 p., Les Belles Lettres, 19 €
HHHHI La Part du héros. Le mythe des Argonautes et le courage d’aimer par Andrea Marcolongo, 272 p., Les Belles Lettres, 19 €

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