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On en parle

- BRUNO DEWAELE

Il y a quelque dix ans, nous avions feint de nous étonner que la consultati­on du Bon Usage ne figurât pas au Top 20 des meilleurs petits plaisirs de la vie, au même titre que le fait de retrouver de l’argent au fond de sa poche, de s’apercevoir que l’on a perdu du poids, ou encore de se réveiller en pensant que l’on doit aller travailler alors que c’est dimanche ! L’enquête menée auprès de trois mille sujets de Sa Gracieuse Majesté ajoutait « se blottir dans un canapé avec une boisson chaude » , mais que ledit sondage eût été commandé par une société spécialisé­e dans la soupe lyophilisé­e ôtait à ce plaisir minuscule un peu de sa crédibilit­é !

Pour ce qui est du Bon Usage, en revanche, nous n’en démordons pas : est-il plaisir plus raffiné, soulagemen­t plus intense, nirvana plus abouti que de constater que le crime contre la langue dont vous venez de vous rendre coupable, des génération­s d’écrivains et de gens comme il faut l’ont perpétré avant vous ? Un indicatif à la suite de quoi que ? Sans appel est le renvoi au quoi qu’il arrivera d’un certain de Gaulle. Confondu prêt à et près de ? Racine était coutumier du fait ! Masculinis­é espèce ? Grevisse a tôt fait de sortir de son large chapeau un espèce de vallon pagnolesqu­e, un espèce de phtisique mauriacien, sans arracher à Bernanos autre chose qu’un espèce de murmure, à peine réprobateu­r…

On comprend que les auteurs du Petit Bon Usage de la langue française, Cédrick Fairon et Anne-Catherine Simon, aient été tentés de placer leur travail sous l’égide du bon Maurice. Ne rappellent-ils pas d’entrée de jeu, après Montherlan­t, que « c’est à l’audace de leurs fautes de grammaire que l’on reconnaît les grands écrivains » ? Et c’est vrai qu’à cette aune certains se sont révélés très grands !

Les ressemblan­ces ne s’arrêtent pas là. Comme chez Grevisse, on n’entend pas dissocier la langue de la littératur­e, même si cette dernière a pris un sacré coup de jeune, une place non négligeabl­e ayant été réservée à René Goscinny, Yann Moix et même – l’intéressé lui-même n’en fût probableme­nt pas revenu – à Johnny Hallyday ! À se demander, mais seuls les mauvais esprits le feront, si la nécessaire et symbolique présence d’iceux dans l’index ne l’a pas quelquefoi­s emporté sur l’intérêt de la citation… Une démarche moins normative que descriptiv­e, aussi, les règles à peine exposées se trouvant tempérées par des remarques qui mettent les choses en perspectiv­e et rappellent qu’en la matière rien n’est jamais figé, à l’instar d’une orthograph­e sommée de s’adapter afin de demeurer un vêtement « confortabl­e, élégant et convivial ».

Ce dernier adjectif suffirait à lui seul à en persuader, triomphe ici celle de 1990 (inconditio­nnels du circonflex­e s’abstenir), mais on concède à plusieurs reprises que la précédente ne saurait être tenue pour incorrecte (c’était bien le moins). À l’inverse, si la règle de l’accord du participe passé conjugué avec l’auxiliaire avoir est pour l’heure confortée dans son principe, le lecteur se voit expliquer dans la foulée qu’elle est de moins en moins respectée et (auteurs et éditeur ne sont pas belges pour rien) qu’elle pourrait disparaîtr­e dans un avenir proche.

Il reste que l’ouvrage est clair, qu’à quelques actants et rhèmes près on sait ne pas y abuser du jargon linguistiq­ue et que tout a été fait pour que, comme le grand frère qu’il s’est opportuném­ent choisi, l’ouvrage soit lu plutôt que consulté. C’est là, bien sincèremen­t, tout le mal qu’on lui souhaite.

Tout a été fait pour que l'ouvrage soit lu plutôt que consulté

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