Marc Dugain*
Transparence a lieu en Islande en 2060, dans un monde numérique qui promet l’éternité, alors qu’il y a un véritable risque de disparaître avec l’échéance du réchauffement climatique. Aucun roman auparavant n’avait traité du transhumanisme dans un contexte de fin de l’humanité. Ce croisement n’a jamais eu lieu dans l’Histoire. Fondamentalement, cette civilisation de l’avidité et de la surconsommation nous pousse à notre destruction. Nous sommes la seule espèce vivante capable de transformer son environnement et
son climat. La littérature doit s’attaquer aux limites que nous connaîtrons très bientôt. Contrairement à d’autres, la dictature numérique est d’une totale douceur, c’est la dictature soft par excellence, qui permet de tout savoir sur tout le monde. La cyber-manipulation est le grand enjeu de notre époque. Et notre envie d’atteindre la connaissance absolue nous pousse à une déconnexion de l’esprit critique. Désormais, les gens vont chez le médecin en sachant déjà ce qu’ils ont. Jusqu’à aujourd’hui, on élisait des représentants parce qu’on leur prêtait certaines compétences. La démocratie va se casser la gueule, on n’a plus besoin d’être représentés. Avec Internet, il n’y a plus d’experts. Quand on voit les abrutis partis s’envoler pour Daesh sans même savoir placer la Syrie sur une carte, ce n’est pas surprenant, ils sont en GPS en permanence et sont atteints de dyslexie spatiale. Cette perte de repères est très intéressante parce
qu’elle permet de vendre : des GPS, qui envoient des données, elles-mêmes vendues et transformées en publicités. Dans un monde où l’intelligence ne nous protège plus, l’humanité a plus de chances de disparaître que de se pérenniser. Si elle ne change pas son rapport au matérialisme, elle est foutue. Hier encore, un cachalot s’échouait en Sardaigne avec 22 kilos de plastique dans le ventre… Je pense que nous vivons dans un monde de fous. » Propos recueillis
par Adèle de Labeau * Dernier roman paru : Transparence (Gallimard).
« Notre envie d’atteindre la connaissance absolue nous pousse à une déconnexion de l’esprit critique »