La dérive du continent
Trois ans après la publication de À la table des hommes, Sylvie Germain revient avec une surprenante composition sur les traces d’une histoire européenne… toujours actuelle.
La littérature est un songe, et celle de Sylvie Germain vous amène à écouter la langue là où, précisément, elle se tait ou bien disparaît. Forçant lecteurs mais aussi personnages à guetter les signaux. Cette histoire débute en 2015, sous un abribus parisien, avec des « paperoles où sont inscrites des propositions de menus services, de vente de matériel ménager, de meubles ou de poussettes, des offres de chatons venant de naître ». Parmi ces bouts de papier, plusieurs avis de recherche et, au milieu d’eux, celui qui signale la disparition de Gavril Krantz, 80 ans, parti du centre où il était hospitalisé. Depuis plus d’un quart de siècle, pourtant, Nathan pensait Gavril décédé, on le lui avait d’ailleurs annoncé. Il se croyait responsable, « et l’ombre de cette faute n’a cessé de peser sur sa vie ». Alors, qu’était-il advenu de cet homme, rencontré durant l’été 1980 ? Quand, garçon taciturne et inerte, Nathan avait été ébloui par cet artiste de rue, saltimbanque monté sur ses échasses, déclamant des poèmes mystérieux auxquels il allait l’initier, lui faisant goûter les plaisirs de la langue, de l’art, des balades dans Paris. Chacun s’étant révélé la pièce manquante de l’autre, ils étaient rapidement
devenus complices. Les « années Gavril » avaient dynamisé l’imaginaire du préado, se montrant décisives quant à son rapport au monde, la place qu’il allait y occuper. Aujourd’hui, le garçon a 45 ans, l’âge de son mentor à l’époque. Un signe, peut-être… Lui qui n’avait jamais voyagé part sur les traces de son pygmalion : des centres d’hébergement parisiens jusqu’en Europe de l’Est. Sylvie Germain ouvre alors des chapitres noirs de l’Histoire : le Banat, province germanophone de Roumanie où était né Gavril, la déportation des Roms, les purges de l’après-guerre, et les routes de la liberté.
UNE ÉCRITURE CHARNELLE
Bâti en quatre parties distinctes et complémentaires, Le vent reprend ses tours raconte cependant plus que la quête de son héros : son écriture, toujours charnelle et à fleur de poésie, n’oublie pas de convoquer la puissance du désir, de l’amour et de la liberté. Prix Femina 1989 pour Jours de colère, prix Goncourt des lycéens pour Magnus en 2005, Sylvie Germain en appelle toujours à l’Histoire, à l’imaginaire et au côté poétique des choses. Unissant mémoire et culture dans une matière vive, poignante, éternelle.