L’homme qui sonne toujours deux fois
De mai 1968 à l’année 2000, Robert Cottard, alias « Bob le facteur », a fait sa tournée dans le pays de Caux. La galerie des personnages qu’il a côtoyés lui a inspiré des histoires émouvantes et facétieuses.
Récemment, La Poste a lancé le forfait « Veiller sur mes parents ». Pour 19,90 euros par mois, l’entreprise s’engage à faire passer régulièrement un facteur chez les personnes âgées pour vérifier que tout va bien. En lisant Les Calendriers, on se demande ce que Robert Cottard en penserait. Reçu au concours de La Poste en 1968, il a connu une autre époque dans le pays de Caux, entre Le Havre, Fécamp et Yvetot : celle où le lien social ne se monnayait pas, mais allait de soi. Les gens qu’il a côtoyés – leurs souvenirs, leurs habitudes, leurs anecdotes – forment la matière vivante de son pétillant roman.
DES PERSONNAGES HAUTS EN COULEUR
Il y a les frères PQ, nommés ainsi d’après leur activité peu engageante – l’épandage de purin –, qui n’aiment rien d’autre que tirer le lapin et jouer leur salaire au casino d’Étretat ; il y a les anecdotes coquines de René le boulanger, qu’il sert comme l’eau-de-vie, sans modération ; il y a les souvenirs de Boris et de sa première fois avec Mado, par un soir d’été après la moisson ; il y a Choléra, Lucienne et leur truie « au caractère ombrageux » ; il y a, enfin, les mères de familles nombreuses des cités HLM, destinataires des relances EDF et des allocations familiales. Robert Cottard peint ces caractères avec une force réaliste et un regard lucide, sans doute glanés chez Maupassant et Flaubert. Deux écrivains que ce grand lecteur, auteur de plusieurs livres autoédités, admire.
« Vous avez bin chin minutes » : invité à entrer, le facteur s’assied et écoute comme les journalistes ne prennent plus le temps de le faire. On commente les nouvelles du Journal de Criquetot et du Courrier cauchois, en lui servant qui un oeuf sur le plat, qui à boire. Son foie en pâtit, surtout à la saison des calendriers. « Du calva maison arrosant le café matinal chez René, à la mirabelle ramenée d’Alsace chez Robert, en passant par le pastaga bien tassé siroté avec Pierrot, il a été mis à rude épreuve, me réservant sa mauvaise humeur pour la mijanvier », avoue-t-il tandis qu’on lui tend un verre de rosé glacé. Au moment de regagner sa 4L, son estomac lui joue des tours. Le ton est souvent facétieux, mais pas d’angélisme chez Cottard. Là est la force de ce roman. Dans cet immense amour pour ses personnages que l’auteur décrit avec leurs aspérités, sans craindre de montrer le racisme ou les tendances réactionnaires de certains. Dans la profonde connaissance et la sincérité qu’une telle approche exige.
Les Calendriers par Robert Cottard, 272 p., L’Olivier, 18 €. En librairie le 2 mai.