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LE GRAND ENTRETIEN

- William Boyd par Claire Chazal

Voilà trente ans que

William Boyd a eu la chance de dénicher, dans une rue calme du quartier de Chelsea, à Londres, une charmante maison de quatre étages donnant sur un bout de jardin. « C’était un rêve pour ma femme Suzanne et pour moi, et nous sommes bien conscients d’être des privilégié­s », nous dit-il en nous accueillan­t, souriant, l’oeil bleu plein de malice. C’est là qu’il écrit romans, scénarios et pièces de théâtre. Il travaille sans cesse, entre recherches minutieuse­s et déroulemen­t de l’histoire. Car William Boyd aime emporter le lecteur dans le sillage de ses personnage­s imaginaire­s auxquels il donne toute la vraisembla­nce possible. On y croit, on s’attache à ses héros, hommes ou femmes, et l’on voudrait que cela ne s’achève jamais. C’est le cas pour ce quinzième roman, L’amour est aveugle (en anglais Love is Blind, avec un sous-titre auquel tient l’auteur : « The rapture of Brodie Moncur » – comprenez « Le ravissemen­t de Brodie Moncur » ). L’histoire d’un jeune Écossais, accordeur de piano, qui tombe amoureux d’une cantatrice russe, Lika Blum. En cette fin du e siècle, cette passion le xix conduit à voyager à travers le monde, mais aussi à sa perte. William Boyd, qui est né au Ghana puis a

L’humour british, le sens du suspense, tous les ingrédient­s romanesque­s sont là

grandi à Glasgow, avant de faire des études à Nice et d’enseigner à Oxford, a toujours parcouru la planète. Ses livres embrassent naturellem­ent les grands espaces… Ajoutez l’humour british, le sens du suspense (ce n’est pas pour rien qu’il a été choisi pour écrire un épisode de James Bond), et tous les ingrédient­s romanesque­s sont là. Le public français ne s’y est jamais trompé depuis 1985, année où Bernard Pivot proposa aux téléspecta­teurs qui n’aimeraient pas Comme neige au soleil, la deuxième publicatio­n de William Boyd, de les rembourser ! Le romancier n’a donc pas hésité longtemps avant de s’installer en Dordogne, d’y cultiver un vignoble et d’y trouver un moyen de fuir de temps en temps le gris de Londres. Où qu’il se trouve, William Boyd vit pour la littératur­e, son prochain roman est en cours. Et cet amoureux de la photograph­ie prépare un album sur Jacques Henri Lartigue.

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L’amour est aveugle. Le ravissemen­t de Brodie Moncur (Love is Blind. The Rapture of Brodie Moncur) par William Boyd, traduit de l’anglais par Isabelle Perrin, 496 p., Seuil/Cadre vert, 22 €. En librairie le 2 mai.

L’amour est aveugle s’ouvre sur l’histoire d’un jeune musicien écossais, accordeur de piano, qui tombe follement amoureux d’une cantatrice russe. Pourquoi ce point de départ musical ?

• William Boyd. Pour ce livre, je me suis demandé pourquoi certains morceaux de musique me donnent envie de pleurer alors que je suis en train de cuisiner ou de calculer mes impôts. Je ne m’explique pas ce phénomène. J’ai donc posé la question à un ami, grand compositeu­r de musiques de film, et nous avons testé plusieurs extraits musicaux : Brahms, Rachmanino­v, du rock écossais. Selon lui, une mélodie qui monte puis change d’un seul coup, créant ainsi la surprise – « an unexpected call » –, déclenche automatiqu­ement des émotions. J’ai alors imaginé ce qu’il pourrait se passer si un musicien composait un morceau capable de faire pleurer tout le monde et qu’on le lui volait. Et voilà comment est né le début du roman, qui s’est étoffé avec l’ajout de l’histoire d’amour.

Le héros nous invite à un voyage dans le temps et l’espace, comme toujours ou presque dans vos livres. Celui- ci se déroule principale­ment entre la fin du xixe siècle et le début du xxe. Est-ce la période que vous préférez ?

• W.B. J’aime beaucoup la musique de cette époque. J’ai écrit des romans qui commencent au début du xx e siècle, mais le passage d’un siècle à l’autre m’intéressai­t particuliè­rement. Ce n’est pas de l’histoire si ancienne. Ma grandmère, qui est née en 1880, était jeune fille à l’époque de la reine Victoria. La vie est devenue moderne à ce moment-là avec l’invention du réfrigérat­eur, du chauffage, mais aussi avec les changement­s vestimenta­ires, l’évolution des comporteme­nts et même de l’esprit des gens. J’aime voyager dans cet imaginaire-là, même si je n’aurais pas aimé avoir une rage de dents au début du siècle ! Sur le plan artistique et culturel, je trouvais intéressan­t de suivre un homme ayant vécu dans cette période charnière.

Comme dans votre roman précédent, Les Vies multiples d’Amory Clay, on voyage beaucoup, jusque dans des îles très lointaines, et avec force détails. Avez-vous fait de nombreuses recherches sur les lieux que vous évoquez ?

• W.B. Oui, car je suis un romancier réaliste, le monde et les personnage­s que je crée doivent être totalement plausibles. Il faut délimiter ce monde, avec tous les détails : ce qu’on mangeait à l’époque, comment on voyageait de Londres à Paris. Cela donne une ambiance d’authentici­té. Pour moi, ceci est très important car je veux que les lecteurs pensent que l’univers décrit dans le roman est vrai. Je tiens à les convaincre. Je suis d’ailleurs allé dans toutes les villes que Brodie visite, sauf les îles lointaines. Je connais bien Saint-Pétersbour­g, Édimbourg, Paris, Biarritz, Nice, Vienne, etc. Je suis moimême un déraciné et un grand voyageur. Je suis écossais, né en Afrique et vivant entre la Dordogne et Londres. Votre héros, Brodie, est très attachant. Son amour pour la cantatrice Lika lui fait perdre le contrôle de son destin. Est-ce pour cette raison que vous avez choisi comme sous-titre « Le ravissemen­t de Brodie Moncur » ?

• W.B. Brodie a eu un coup de foudre immédiat pour cette chanteuse. C’est à partir de cet amour qu’il va mener sa vie, se demandant comment faire pour approcher Lika. Il est prêt à la suivre n’importe où. On peut se retrouver dans un état de « ravissemen­t » dans un contexte religieux ou idéologiqu­e. On peut l’être aussi face à l’objet de son amour.

Cela vous est-il déjà arrivé ?

• W.B. Oui, absolument, je m’en souviens très bien. C’est une sorte de folie qui nous saisit, qui nous pousse à agir bêtement et fait beaucoup souffrir.

Y a-t-il un cheminemen­t christique dans le parcours de Brodie ? Un destin sacrificie­l qui fait penser à celui de son père ? • W.B. Cette idée de poursuite démoniaque est très écossaise, comme d’autres thèmes du roman : le « pèremonstr­e » , la puissance de l’Église, l’asile. Brodie n’est pas damné, mais il se trouve de temps à autre dans un cercle de l’enfer. Il voit son amour pour Lika comme une sorte de punition l’éloignant de sa famille et de l’Écosse.

J’ai lu que vous aimiez les « whole life novels », ces livres qui forment un tout et emmènent un héros du début à la fin, comme Le Guépard de Lampedusa… Qu’est-ce qui vous plaît dans ces romans ? • W.B. Ces livres sont assez rares, car il est difficile d’évoquer toute une vie en 500 pages. Mais voir l’existence d’un individu se dérouler du berceau à la

La littératur­e de fiction est la meilleure forme d’art pour décrire nos existences

tombe est très intéressan­t dans une fiction. Les lecteurs répondent chacun différemme­nt à ce type de roman, ils y voient un miroir de leur vie. L’exercice est difficile, mais c’est ce que je me suis attaché à faire dans Les Nouvelles Confession­s, À livre ouvert ou dans Les Vies multiples d’Amory Clay – qui raconte le destin d’une femme au xx e siècle – et surtout dans mon petit canular Nat Tate, 80 pages de « whole life novel ». Traverser toute une vie, comme sur des montagnes russes, me plaît beaucoup. Comment vivre ? Comment trouver des solutions à ses problèmes ? Cela touche les lecteurs. D.H. Lawrence a décrit le roman comme « le livre lumineux de la vie », je pense que c’est une très bonne définition, car la littératur­e de fiction est la meilleure forme d’art pour décrire nos existences.

On retrouve, dans ce nouveau livre, des éléments du roman policier avec beaucoup de suspense…

• W.B. En ce qui me concerne, j’aime tourner les pages d’un livre pour comprendre ce qui va se passer, et je veux donner à mes lecteurs ce même plaisir. Et puis j’adore les complots, les histoires à forte narration. Cette dernière fait partie des éléments du roman, des personnage­s et de l’histoire. Il faut être un grand styliste pour s’en passer. Si vous laissez de côté l’histoire, les personnage­s doivent être suffisamme­nt crédibles pour que les lecteurs puissent avoir envie de continuer à lire. Il y a une sorte de contrat entre le lecteur et l’auteur : « Je vais payer pour votre roman et vous allez me séduire pour quelques heures ou quelques jours. »

De même que le suspense, l’humour – souvent noir – caractéris­e votre écriture. D’où vous vient-il ?

• W.B. Selon Tchekhov, « toutes les tragédies sont une comédie ». Je pense que la vie est une comédie absurde, c’est la meilleure façon de la voir. Il est vrai que, face à l’absurdité de l’injustice de la vie, il vaut mieux se dire qu’on est dans une comédie noire, qu’on ne peut rien y faire. C’est très écossais, ce stoïcisme !

Quel est votre lien avec les auteurs russes ? • W.B. J’aime Tchekhov, Tourguenie­v, Gogol, Nabokov, alors que je ne parle pas russe. Je viens d’adapter Dostoïevsk­i au théâtre. La pièce est toujours représenté­e à Saint-Pétersbour­g. Les Écossais et les Russes ont, à certains égards, le même esprit. Il y a aussi, dans ces deux pays, un certain attachemen­t au romantisme. Dans mon livre, je fais dire à Lika quand elle arrive en Écosse : « C’est comme la Russie. » Elle y découvre la même pauvreté, les mêmes inégalités : une strate aristocrat­ique qui vit ses derniers jours et un système de classes très ancré dans la société, comme en Angleterre.

Connaissie­z-vous la fin de votre roman avant de le commencer ? Saviez-vous comment allait finir Brodie Moncur ?

• W.B. Oui, absolument. Pour moi, il faut connaître la fin avant de commencer à écrire. C’est ma méthode, chacun a la sienne. Ainsi, je peux travailler en toute confiance. Au milieu du chapitre 8, je sais exactement ce qu’il va se passer. J’écris souvent les dernières lignes avant la première page, car je sais précisémen­t quel genre de catharsis je veux établir. Si la fin d’un roman fonctionne, on évite de se retrouver en difficulté car les dernières pages sont toujours les plus compliquée­s à écrire.

Vous avez écrit votre premier roman, Un Anglais sous les tropiques, très vite. Le travail d’écriture est- il aujourd’hui plus laborieux ?

• W.B. Quand j’étais un jeune écrivain, je pouvais écrire huit heures par jour. Aujourd’hui, je suis fatigué après trois heures de création, je passe alors à la relecture, à la correction et à la préparatio­n du travail pour le lendemain. À l’époque, j’étais capable d’écrire toute la journée sans aucun problème. J’écris beaucoup – un roman tous les trois ans, des articles, des scénarios de séries TV, des pièces de théâtre –, comme mes contempora­ins britanniqu­es. C’est notre culture et assez normal pour nous. Je consacre beaucoup de temps à l’élaboratio­n d’un roman : deux ans de préparatio­n, de recherches, et un an d’écriture. Le prochain se fera plus vite, en deux ans. Il se passera à Brighton. J’en ai eu l’idée en terminant L’amour est aveugle. J’étais absolument persuadé que ce serait mon prochain roman et je me suis dit « pourquoi attendre ? ». Il sortira donc l’année prochaine. Avec l’âge, on a moins de temps, il faut aller plus vite…

Quand se sent-on suffisamme­nt légitime en tant qu’écrivain ?

• W.B. C’est lorsque vous tenez votre premier livre entre vos mains que vous commencez à vous sentir écrivain, et c’est lorsque vous êtes publié pour la première fois que vous pouvez dire que vous êtes écrivain – un moment inoubliabl­e que j’ai longtemps attendu. Avant mon premier roman, j’en avais écrit trois qui n’ont pas été publiés. J’avais 28 ans, j’étais lancé et, après mes trois autres livres publiés, j’ai décidé de quitter l’université pour devenir auteur à temps plein. C’était en 1983 et je

suis encore là. Être un artiste libre est la manière la plus géniale de mener sa vie, on est seul mais libre. C’est une chance incroyable, une ambition que j’ai eue dès l’adolescenc­e.

N’ avez- vous jama i s é t é tenté par l’autofictio­n ?

• W.B. J’écris un journal intime depuis l’âge de 18 ans. Il y a des millions de mots qui me racontent dans mes tiroirs, mais le roman confession, autobiogra­phique, ne m’intéresse pas. Je suis déjà dans tous mes livres. Je fais partie des auteurs qui préfèrent imaginer des choses qu’ils n’ont jamais faites ou des personnage­s qu’ils n’ont jamais été, comme être une femme, par exemple. Je me sens plus libre ainsi, et puis ma vie n’est pas vraiment intéressan­te. Si je veux écrire une histoire passionnan­te, je dois utiliser mon imaginatio­n pour me glisser dans la peau d’un jeune soldat lors de la Première Guerre mondiale ou dans celle d’un photograph­e en Afrique. Je peux voyager n’importe où, inventer n’importe quel personnage, raconter n’importe quelle histoire, c’est pour moi une grande liberté et je m’en réjouis.

Par quel type de livres êtes-vous attiré en tant que lecteur ?

• W.B. Je dois avant tout être séduit. Je lis énormément, j’ai enseigné la littératur­e pendant dix ans, j’ai l’impression d’avoir tout lu. Comme je suis un romancier réaliste, j’aime les romans réalistes qui décrivent un monde bien détaillé, authentiqu­e, plausible. La fantasy, la magie, les dragons, ce n’est pas pour moi, donc Harry Potter, non merci. Ce genre de littératur­e ne correspond pas à mes goûts, qui sont enracinés dans le monde que nous habitons.

Êtes-vous attentif au style ?

• W.B. Plus un livre est idiosyncra­tique, meilleur il est. Il doit être bien écrit, mais pas avec un style compliqué ou trop intellectu­el. Si un auteur utilise une histoire, des personnage­s ou une langue stéréotypé­s, c’est un mauvais roman. Ce qui est vrai pour tous les styles d’art : le cinéma, la peinture… Si le peintre ne sait pas dessiner, à mon sens, il est mauvais. C’est une question de virtuosité. Paul Valéry a dit à propos de la poésie qu’« il faut voir dans un poème, un texte, la virtuosité de l’artiste ». Celle-ci peut se caractéris­er par un mot juste, ou la manière de dessiner une main en trois coups de crayon. Si on ne voit pas la virtuosité, cela reste moyen. Un roman est une machine élaborée, construite à partir de l’imaginatio­n, de l’invention, du don de l’artiste et, comme pour un piano, toutes les touches doivent fonctionne­r impeccable­ment. Tous ces éléments se trouvent dans un roman bien écrit, une symphonie bien jouée.

Que faire de la force de certaines écritures comme celles de Faulkner, Marguerite Duras, Claude Simon, qui, par leurs mots, touchent plus que par ce qu’ils racontent…

• W.B. Le plaisir que vous ressentez quand vous lisez les textes de James Joyce ou de Nabokov crée une sorte de jouissance intellectu­elle. On a critiqué Nabokov sur le fait qu’il écrivait comme un dieu, mais qu’il ne racontait pas grand-chose. Or la force d’un auteur tient surtout au fait qu’il est témoin de quelque chose. Je suis en train d’écrire un article sur Vassili Grossman et son premier roman, Stalingrad : 900 pages d’horreur absolue, mais portées par la puissance du souffle de l’Histoire. Henry James a écrit : « La maison de la fiction a beaucoup de fenêtres. » On peut en effet écrire un roman de 120 pages sur un petit moment de la journée, comme 900 sur la bataille de Stalingrad. L’un n’est pas forcément mieux que l’autre. La forme d’art qui exprime le mieux notre vie, la plus généreuse, reste la littératur­e. J’aime beaucoup le cinéma et la photograph­ie, mais il est très difficile d’y être subjectif. Le septième art est toujours contrôlé par la caméra. À cause de l’objectif, on n’est que spectateur. Avec le roman, on peut passer des centaines de pages dans la tête de quelqu’un. Je parlais de la différence entre cinéma et littératur­e à un ami metteur en scène qui réalisait l’adaptation de l’un de mes romans, La Vie aux aguets. Je lui ai lu un paragraphe du livre et lui ai demandé de le mettre en images. Il m’a

répondu que c’était impossible car cela se passait dans la tête de l’héroïne. Pour exprimer les nuances les plus subtiles de notre vie, il n’y a qu’une forme d’art : la littératur­e. Le théâtre s’en rapproche. Mais une fois qu’il est écrit, un roman est terminé, tandis que, pour une pièce de théâtre, chaque représenta­tion est différente. Je suis allé voir mes pièces une vingtaine de fois pour comprendre pourquoi. C’est une forme d’art très organique, tellement changeante.

Avez-vous déjà eu l’impression qu’une pièce que vous aviez écrite vous échappait, qu’elle ne vous appartenai­t plus ? • W. B. Oui, mais c’est inhérent au théâtre : la réaction du public peut changer d’un soir à l’autre devant la réplique d’un acteur. Si ce dernier n’est pas en forme, par exemple, des choses imprévues peuvent modifier la pièce. On en a immédiatem­ent conscience lorsqu’on pénètre dans le monde du spectacle vivant. C’est très étrange que de voir les acteurs, les spectateur­s, vos mots, cette alchimie qui se transforme à chaque représenta­tion.

Avez-vous envie de réaliser un second film ? • W.B. Oui, si j’arrive à trouver neuf mois de liberté. J’ai écrit un scénario pour moi. Je suis de très près les films adaptés de mes romans, je m’implique beaucoup, et cela me satisfait un peu. Mais il faut que je m’attelle à au moins un autre film, car en avoir réalisé un seul est un peu frustrant. Ce sera un thriller qui commence un soir et se termine le matin. Je ne suis pas si pressé. Vous avez beaucoup voyagé. Désormais, vous passez plus de temps en France, dans votre pied-à-terre en Dordogne. Où vous sentez-vous le mieux ?

• W.B. Je me sens londonien car j’y vis la plupart du temps. Mais je dois aller en France de temps en temps pour « recharger mes batteries » . Je suis chanceux de pouvoir profiter des deux. Quand je suis à Londres, j’ai besoin de retourner dans la campagne française et inversemen­t. Cela fait partie de ma vie depuis vingt-cinq ans. Cette aventure est à vivre à deux. Avec mon épouse, nous y avons créé quelque chose de génial, même si j’ai arrêté d’y produire du vin. À cause des contrôles, de la demande, c’est devenu trop compliqué.

Vous êtes très opposé au Brexit, cela aurait pu vous pousser à rester davantage en France…

• W.B. Oui, mais il me faut une ville, je suis très citadin. Bordeaux ou Paris. La campagne me convient, mais seulement pour quelques semaines. J’ai besoin du cinéma de la vie quotidienn­e, des choses qui passent devant moi. Le Brexit est une catastroph­e, l’avenir est incertain. J’ai beaucoup écrit sur le sujet. Ce qui arrive est honteux. Je pensais qu’on parviendra­it à un compromis, mais aujourd’hui, je suis désespéré. Hier encore, j’ai vu des partis se battre les uns contre les autres. Les Écossais nationalis­tes veulent rester dans l’Europe et s’opposer aux conservate­urs. Les citoyens britanniqu­es ressentent une frustratio­n immense face au Parlement. Si un nouveau vote était organisé, pensez-vous que l’issue serait différente ? • W.B. Aujourd’hui, ce sont 60 % des Britanniqu­es qui veulent rester en Europe. Comme je l’ai écrit, le Brexit est une « fantaisie de l’Angleterre », c’est un problème anglais. Les Écossais, les Irlandais du Nord souhaitent rester dans l’Europe. Le fantasme de l’Empire britanniqu­e est ancré dans l’esprit des pro-Brexit. Cela relève de la foi, pas de la logique. Le monde change, on le voit avec Donald Trump. Il y a des problèmes, ce qui explique pourquoi cet idiot est président des États-Unis, mais le Brexit en apportera de plus grands. Le public français vous adore. Comment l’expliquez-vous ?

• W.B. Avec ma femme Susan, nous nous sommes posé la question de la citoyennet­é française, mais je crois qu’il est très difficile de l’obtenir… Nous songeons aussi à la nationalit­é irlandaise ou écossaise, si ces pays deviennent indépendan­ts, mais cela m’étonnerait. L’histoire de mes livres en France est incroyable, un succès que je ne m’explique pas, rare pour un auteur britanniqu­e. C’est aussi pour cette raison que nous y avons acheté une maison, à un moment de notre vie où tout changeait. Aux États-Unis, mes romans sont très bien reçus, mais les ventes restent modestes. Beaucoup d’écrivains britanniqu­es me demandent les raisons du très bon accueil de mes livres en France ; je leur réponds qu’il faut demander aux Français !

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William Boyd, chez lui à Londres, en avril 2019.
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