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LITTÉRATUR­E ÉTRANGÈRE

Révélation de la littératur­e irlandaise en 2013 avec son premier roman, Le coeur qui tourne, Donal Ryan, dans ce troisième ouvrage, porte avec brio un personnage féminin qui affronte la vie et ses déchirures.

- Hubert Artus

C’est toujours le même cadre, et pourtant, rien n’est pareil. Tout ce que nous allons savoir se déroule sur les terres déjà arpentées dans les deux précédents livres de Donal Ryan, à savoir le comté rural de Tipperary, dans la province du Munster, où l’Irlandais vit le jour en 1976. Mais si Le coeur qui tourne ( 2015) était une chronique sociale dépeignant les effets de la crise financière de 2007, si Une année dans la vie de Johnsey Cunliffe (2017) se situait dans le même village une décennie auparavant (c’est-à-dire durant le boom économique qui avait précédé), la focale est ici nettement plus resserrée : une femme, Melody Shee, et une communauté, les gens du voyage. Le premier ouvrage était un roman choral à vingt et un narrateurs, le second s’égrenait en douze mois et comptait pléthore de personnage­s, Tout ce que nous allons savoir est porté par une seule personne, à travers son journal intime. On passe ainsi du choeur au coeur…

JOURNAL DE GROSSESSE

« Martin Toppy est le fils d’un homme célèbre chez les gens du voyage et le père de mon enfant à naître. Il a dix-sept ans, j’en ai trente-trois. J’étais son professeur particulie­r. Je me serais tuée depuis longtemps si j’en avais eu le courage. Je ne crois pas que le bébé souffrirai­t. Son petit coeur s’arrêterait de battre avec le mien » : ces mots sont à la fois les premiers du roman et du journal que commence à écrire Melody Shee, la narratrice, alors enceinte de douze semaines. Pourquoi maintenant ? Parce qu’elle vient d’avouer à Pat, son mari, qu’il n’est pas le père. Ce dernier la congédie aussi sec à la page suivante. Jusqu’à la quarantièm­e semaine, Donal Ryan ne lésine certes sur aucun détail physiologi­que et autres descriptio­ns de nausées matinales ou désagrémen­ts quotidiens. Mais il s’agit aussi d’une confession, d’une ronde de souvenirs, d’une compositio­n dans laquelle Melody dévoile (voire découvre) ses complexité­s et ses culpabilit­és, revit la rencontre et le mariage raté avec un homme toxique. Transparen­te, elle raconte comment elle avait elle-même trahi son amie Agnès. Bien que refusant de retrouver cet amant de passage (qu’elle avait rencontré sur Internet), elle cherche le réconfort en allant visiter le campement de la famille Toppy. Où elle se lie avec l’étrange Mary Crothery, rejetée par les siens à cause de sa stérilité. Melody vit sa grossesse comme une initiation à cette liberté qu’elle n’a jamais eue. Mais au village, on lui en veut, à cette femme adultère, et bientôt les briques viennent briser ses fenêtres. Rejetée, révoltée, aimant aussi entretenir ses zones d’ombre, notre narratrice alterne entre transparen­ce et déni.

UNE VOIX BÉNÉFIQUE

Un défi, pour Ryan qui change radicaleme­nt de braquet romanesque. Interrogé, l’Irlandais avoue que « la voix de Melody a été la plus aisée à trouver, comparé à mes livres précédents. Je me suis inspiré de bien des gens que j’aime, ce qui a facilité les choses. Ainsi, je me souviens avoir été accompagné tout du long par un doux murmure à l’oreille ». Porté par une voix singulière et une belle vigueur émotionnel­le, Tout ce que nous allons savoir tient autant du journal féminin que du récit sur une classe sociale (cette ancienne étudiante s’essaie au journalism­e) ou sur les gens du voyage. On retrouvera dans ce troisième livre ce qui nous avait éblouis dans les précédents : la langue simple de l’auteur, qui unit les dimensions modernes et vernaculai­res, pour un portrait radieux de cette Irlande rurale qui est la sienne. « J’ai profondéme­nt apprécié le travail d’écriture sur ce livre, plus encore que tout ce que j’avais fait avant, se réjouit- il. C’était comme si j’avais redécouver­t mon amour de la langue. » Le coeur qui tourne avait été finaliste du Man Booker Prize puis lauréat du Guardian First Book, le roman suivant avait confirmé tout le bien ressenti. Cette fois, celui- ci s’impose et nous ravit.

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 ??  ?? HHHHI Tout ce que nous allons savoir (All We Shall Know) par Donal Ryan, traduit de l’anglais (Irlande) par Marie Hermet, 288 p., Albin Michel, 22 €
HHHHI Tout ce que nous allons savoir (All We Shall Know) par Donal Ryan, traduit de l’anglais (Irlande) par Marie Hermet, 288 p., Albin Michel, 22 €

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