HISTOIRE LITTÉRAIRE
Marcel Proust n’a pas dit son dernier mot : la preuve avec la flopée de livres qui sortent ces temps-ci. Petite sélection subjective pour s’y retrouver du côté des actus.
André Gide doit s’en retourner dans sa tombe : en refusant nonchalamment Du côté de chez Swann en 1913, comment aurait-il pu s’imaginer que 2019 serait l’année de Marcel Proust ? Entre le Printemps Proustien [du 11 au 19 mai – voir ci-contre] et les 100 ans du Goncourt d’À l’ombre des jeunes filles en fleurs en décembre, on ne va parler que de lui lors des huit prochains mois. Difficile de ne pas s’y perdre dans l’actualité des parutions proustiennes. Signalons déjà deux rééditions : Une jeunesse de Marcel Proust d’Évelyne Bloch-Dano (Le Livre de Poche) et Proust par lui-même de Pierre Assouline (Texto). Puis balayons devant notre porte en recommandant un livre que nous avions omis de chroniquer en janvier : La Vraie Vie de Vinteuil de Jérôme Bastianelli. Président de la Société des amis de Marcel Proust, Bastianelli connaît son sujet comme personne. Pour revisiter l’oeuvre de son écrivain préféré, il se devait d’être original. Et a choisi cet angle inédit : inventer
quasiment de toutes pièces la biographie du musicien de La Recherche. Une vie imaginaire qui aurait pu être écrite par Schwob, Borges ou, plus près de nous, Bernard Quiriny. Un livre élégant et amusant qui ravira les spécialistes.
UN GONCOURT SCANDALE
Le problème, quand on replonge dans Proust, c’est qu’on ne peut plus en sortir. On veut alors tout lire. Ça tombe bien : dans Proust, prix Goncourt. Une émeute littéraire, Thierry Laget dissèque quasiment minute par minute les délibérations qui, un certain 10 décembre 1919 chez Drouant, attribuèrent le Goncourt à Proust au détriment de Roland Dorgelès. Avec Les Croix de bois, Dorgelès était le favori : grande gueule très sympathique, il était aussi (et surtout) un héros de la guerre. Proust était vu comme un snob acoquiné au faubourg Saint-Germain et à la presse de droite, un rentier planqué qui avait passé quatre ans au Ritz ou dans son lit. On ne se rend plus compte à quel point ce Goncourt fit scandale, à quel point Proust était alors marginal. Dans des pages sidérantes, Laget rapporte les noms d’oiseaux qui lui tombèrent sur le dos. Il nous rappelle aussi que, jusqu’aux années 1950, Dorgelès fut considéré comme un auteur plus important que Proust. Longtemps, son génie n’alla pas de soi…
DES MISSIVES À GRASSET
Un captivant recueil de lettres, Cher ami…, insiste sur ce point : Proust avait bien conscience que son oeuvre était difficile, et qu’il fallait ruser pour la faire accepter. Il n’était pas seulement un rêveur asthmatique, mais également un stratège combatif, prêt à tout pour défendre ses romans. Dans Cher ami…, on le voit notamment correspondre entre 1913 et 1919 avec Bernard Grasset, le premier éditeur de La Recherche.
Dans une lettre aussi alambiquée que cinglante datée du 14 août 1916, Proust lui reproche de mal s’occuper de lui. Le Kafka français s’enhardit : on dirait Céline enguirlandant Gaston Gallimard ! Proust signe chez Gallimard, mais envoie encore des missives à Grasset, dont celle-ci tout aussi cocasse, le 14 décembre 1919, après son déménagement : « Je suis venu me réfugier 44 rue Hamelin (je vous donne confidentiellement mon adresse) dans un meublé aussi modeste et inconfortable qu’exorbitant de prix, mais il n’y avait pas un seul autre appartement dans Paris. »
Pas un seul autre appartement dans Paris ? Ah ! l’immobilier dans la capitale, c’était déjà un problème crucial en 1919 ! Les proustiens, eux, sauront où s’abriter en 2019 : dans ces différents livres.