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Vous n’aurez pas le dernier mot

- DIANE DUCRET

Socrate comme Cyrano, deux excentriqu­es fidèles à leurs idées

Socrate, c’est le type qu’il ne faut pas inviter, sous peine de tuer l’ambiance d’une soirée. Vous lui offrez un petit-four, il vous répond en vous questionna­nt sur la nature de l’amour. La dialectiqu­e minutieuse et affûtée, il assène les mêmes questions, prétendant ne rien connaître et sachant tout. À n’en pas douter, vos convives lèvent le camp en deux temps trois mouvements. Mais moi, si j’étais née en 450 avant J.- C, je serais amoureuse de la mouche du coche de la démocratie athénienne, Socrate.

Depuis qu’en classe de terminale j’ai lu Le Banquet, ma définition de l’amour véritable est simple : reformer l’androgyne primitif. Dans les temps anciens, hommes et femmes n’étaient pas séparés, existait un troisième genre composé de deux êtres indissocia­bles. Une forme ronde avec quatre mains et autant de pieds, deux visages sur un cou rond, qui, lorsqu’elle se mettait à courir vite, se déplaçait comme les saltimbanq­ues en tournant en cercle rapidement sur elle-même, décrivant une sorte de roue. Depuis, l’idée de trouver ma moitié afin de rouler comme une boule sur une plage façon Un homme et une femme sur une bande-son de Francis Lai faisant « chabada bada » m’obsède.

Platon se trompe en disant qu’on ne peut aimer que la beauté, que l’amour du laid est impossible. Il tire la couverture à lui. Finalement, Socrate et Platon, c’est Cyrano de Bergerac et Christian de Neuvillett­e. Socrate, le Cyrano inspiré questionna­nt l’existence et la beauté, lui-même empêtré dans sa laideur qui le confine à l’infirmité. Platon, c’est Neuvillett­e, le cadet plein d’allant qui séduit par son verbe, que lui insuffle le premier. On néglige d’ailleurs la qualité littéraire

de Platon, comme il est de bon ton de railler les vers de Rostand. Moi, je délaisse volontiers les beaux gosses des belles lettres pour m’acoquiner avec ces monstres- là. Socrate comme Cyrano, deux excentriqu­es fidèles à leurs idées, prêts à les défendre dans leurs actes et à mourir pour elles.

Socrate, le fondateur de la pensée grecque, de la dialectiqu­e occidental­e ! Condamné à boire la ciguë pour « corrompre la jeunesse et […] ne pas croire aux dieux qu’honore la cité, mais […] croire en d’autres choses, des affaires de démons d’un nouveau genre » . Quelle hérésie ! Mais je sais que Socrate m’offrira une fin mémorable. Il ne me décevra pas. Ses disciples sont auprès de lui, dans sa cellule, va-t-il livrer dans son cachot la clé de sa sagesse ? On retient son souffle, le monde pourrait être transformé par les derniers mots ! « Mais voici déjà l’heure de nous en aller, moi pour mourir, vous pour vivre. Qui de nous prend la meilleure direction, nul n’y voit clair, excepté le dieu. » Puissant ! Hélas, ce sont les derniers mots rapportés par Platon dans le Phédon.

En réalité, lorsque le maître s’apprête à quitter le monde, voici ce qu’il dit : « Criton, je dois un coq à Esculape. Souvenezvo­us de payer ma dette. » Et puis ? C’est tout. Mais on s’en fiche, de ce coq ! Et l’androgyne primitif des premières amours, où est-il passé ? Il pourrait dire quelque chose du genre : « Aimez-vous les uns les autres », je suis sûr que ça plairait. Tout, mieux que la vision d’un coq déplumé ! Socrate est sans excuses : d’avoir improvisé tant de discours, se sachant condamné, il aurait pu préparer un petit quelque chose qui nous aurait scotchés. Décidément, vivant comme mort, Socrate, il ne fallait pas l’inviter.

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