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Certains l’aiment Jo

- JOSYANE SAVIGNEAU

On est chez Djian, qui aime les huis clos, propices à faire monter la tension

Voici un roman concentré – 176 pages – qui réjouira ceux qui ont aimé Philippe Djian dès ses débuts. Les Inéquitabl­es est plus resserré que certains de ses derniers livres. Plus tendu que le précédent, À l’aube, dans lequel on avait parfois le temps de s’ennuyer.

Le personnage principal, Patrick, est mort il y a un an, « sous les balles d’un forcené » . Mais c’est bien son absence qui domine le récit. Patrick était le genre d’homme qui occupait tout l’espace. Dur, sauf avec Diana, dont il était fou amoureux. Sa disparitio­n a bousculé la vie de toute la famille. « Tout s’est désorganis­é après lui », dit son jeune frère Marc qui s’est installé avec Diana, la veuve de Patrick. Celle-ci multiplie les tentatives de suicide – elle en est à sa troisième et, cette fois, s’est jetée sous les roues d’une voiture et a de graves blessures aux jambes.

Le décor est magnifique, une belle maison au bord de l’océan, un bateau prêt pour les parties de pêche, mais rien ne va. Logique, on est chez Djian, qui aime les huis clos, propices à faire monter la tension. Pour Diana, « à la souffrance du deuil s’était substituée l’incompréhe­nsion du vide, puis le glissement vers un quotidien que Marc était bien le seul à rendre tolérable, pas toujours, mais la plupart du temps, même s’il n’en prenait pas vraiment conscience et ne pouvait empêcher certaines humeurs cafardeuse­s ». Marc est un homme assez mystérieux. Il se bat volontiers, corrigeant sérieuseme­nt ceux qui s’approchent un peu trop près de Diana, et ceux qui ont suggéré qu’il était homosexuel. Homosexuel, peut- être pas, mais incertain sexuelleme­nt, sans aucun doute. À 33 ans, il est toujours vierge… Si l’on en restait là,

on s’embarquera­it pour un roman psychologi­que, une variation sur le deuil, qui n’est pas vraiment dans la manière de Djian. Heureuseme­nt, il y a la plage sur laquelle donne la maison. Et Marc, un matin, y découvre des sachets de cocaïne. Ce qui arrive parfois dans la région. Curieuseme­nt, il décide de ne pas les remettre aux autorités. Non pour les consommer – il est plutôt alcool et, éventuelle­ment, herbe – mais pour les vendre. Le joueur compulsif qu’il est peut y trouver quelques avantages.

C’est à ce moment qu’entre en scène Joël, le frère de Diana. Elle a les plus mauvaises relations avec lui et refuse d’en donner la raison. Pour vendre de la coke, il faut se lier à des gens dangereux. Joël en connaît. En dépit de quelques menaces, ce ne sont pas les mauvais garçons qui vont faire basculer le récit du côté du roman noir, mais Joël. Ce serait cruel de donner ici au lecteur le fin mot de l’affaire – à supposer qu’il y en ait un. Qu’il sache seulement que Joël, grand amateur de femmes, a une épouse de trente ans de moins que lui – il a la soixantain­e – et qu’elle disparaît. Marc sait comment, mais ne dit rien à Diana.

Peut-il y avoir une happy end chez ces Inéquitabl­es ? Et pourquoi ce titre ? Philippe Djian s’en est expliqué dans le bulletin que publie Gallimard sur les livres qui paraissent : « Tout part de l’expression commerce équitable, et du double sens du mot commerce, relations marchandes, mais aussi relations humaines. Et je me suis dit que les relations entre mes personnage­s, leur commerce, donc, était terribleme­nt inéquitabl­e. » En effet. Et là est la réussite de ce roman. Chacun joue un rôle qu’il maîtrise mal dans une partie où l’on ne sait jamais qui va perdre et qui va gagner. Sauf si l’on est attentif aux petits indices semés ici et là.

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Les Inéquitabl­es par Philippe Djian,
176 p., Gallimard, 17 €
HHHHI Les Inéquitabl­es par Philippe Djian, 176 p., Gallimard, 17 €

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