Par les livres et par les champs
Pour débattre, il faut être libre de le faire
L’ article 11 de la Déclaration des droits de l’homme émeut ceux d’entre nous dont la passion est de lire des livres, des journaux (et le magazine Lire). Les écoliers le connaissent par coeur. Citons-le quand même pour la beauté de la formule et l’audace du propos : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme. »
Régulièrement, cet article est attaqué. Divers tartuffes s’y emploient avec passion. Ils ont un seul avis : ils ne veulent pas de la liberté d’opinion. Ils sont libres de l’exprimer. Ils sont parfois vêtus de robes noires, portent un faux nez, une calotte, un turban. Il y a des moustachus parmi eux. Ils ne sont pas riants. Sur le sujet, les religieux sont les plus chatouilleux. Ils méritent notre compassion. Faut-il que leur foi soit fragile pour qu’ils en défendent la pureté avec des ardeurs de communiantes ! Parmi le genre clérical, les musulmans sont très émotifs. Il y a douze ans, à la suite de la publication de caricatures de Mahomet, l’hebdomadaire Charlie Hebdo se trouvait traîné en justice par des organisations musulmanes telles que l’UOIF. Le 7 et le 8 février, le « procès des caricatures » se tenait devant la 17e chambre du TGI de Paris. Le
22 mars 2007, le tribunal relaxait Charlie Hebdo.
Entre-temps avaient retenti au Palais les plaidoiries des avocats Georges Kiejman et Richard Malka, dont les éditions Grasset publient l’intégralité sous le titre Éloge de l’irrévérence.
Pourquoi une maison d’édition publie-t-elle, douze ans plus tard, un tel texte (assorti d’un lumineux liminaire de l’essayiste Anastasia Colosimo) ? D’abord, il est bon de verser l’art de plaider à la littérature. Le Verbe peut changer le cours de l’Histoire. C’est une idée de la Grèce antique : la parole a un pouvoir magique. Celle
de Kiejman et de Malka est brillante. Le Verbe sonne haut, l’argument est limpide. La raison, la culture, l’esprit et Aristote sont convoqués. Ensuite, parce que la liberté d’expression n’est pas acquise en France. Si la rédaction a gagné son procès en 2007, elle a été décimée par l’attentat du 7 janvier 2015. Il coûta la vie à douze personnes. Or c’est strictement pour les mêmes raisons que les journalistes de Charlie Hebdo furent traduits en justice un jour et assassinés le lendemain. Ce jour-là, la France « craquelée » découvrait que l’Histoire n’était pas finie. Depuis, beaucoup d’attentats ont été commis par des musulmans intégristes, blessés dans leur foi. Il faut lire ces plaidoiries, insiste Anastasia Colosimo « parce qu’elles nous parlent à partir d’hier du terrible aujourd’hui » et qu’ « elles demeurent des appels à résister »… Notre pays a réussi à séculariser la vieille idée chrétienne de la liberté individuelle jusqu’à permettre que des individus critiquent le christianisme. Y aurait-il un « sort particulier réservé à l’islam » qui interdirait d’en rire ? « Je ne vois pas pourquoi les musulmans seraient les seuls citoyens au monde qui ne seraient pas capables de rire d’eux-mêmes », lance maître Malka. Il renchérit : « L’histoire de la caricature en France est une noble histoire. » Pourquoi une catégorie d’hommes échapperait-elle à cette noblesse ?
Les plaidoiries soulèvent une question plus grave. Elle ramène au Livre. « N’est-il pas une violence inhérente à l’islam, déjà perceptible dans ses écrits fondateurs ? » demande Anastasia Colosimo. La réponse est peut-être négative. Pour le savoir, il faut en débattre. Pour débattre, il faut être libre de le faire. Gloire à maîtres Kiejman et Malka d’avoir mobilisé la langue française, la raison, notre héritage gréco-latin et judéochrétien et l’esprit d’irrévérence afin de nous autoriser à le faire. En France. Pour le moment.