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Dans les poches

- FABRICE GAIGNAULT

Certains se souviennen­t peut-être des Slits, ce trio punk féminin anglais qui tenta, avec un certain succès, de se frayer une place sous les sunlights dans un monde de garçons très électrique­s. Viviane Albertine était la guitariste de ce groupe à la gloire assez éphémère. Née en Australie d’un père corse et d’une mère suisse, Viv grandit dans le quartier londonien de Muswell Hill, cher aux Kinks qui venaient du coin. Enfance pauvre, père barré – dans tous les sens du terme –, la petite fille est en quête de repères qui la sortiraien­t de cette nuit sans fin quelque peu glauque. La voici à traînaille­r avec des adolescent­es de son âge, entre zone, squats et rêves de midinettes. À défaut de trouver tôt sa voie, Viv inaugure, prétend-elle, un style outre-Manche : des petites robes sexy portées avec de grosses Dr Martens aux pieds, qui donnent soudain aux jeunes Anglaises des airs d’Olive Oyl passées au tamis punk. Mais Viv Albertine ne louche pas que sur les fringues hors de prix de la boutique Sex de Vivienne Westwood. La musique et ceux qui la font deviennent deux autres obsessions. À la recherche de l’homme absolu, le prince charmant mais quelque peu bad boy qui saura combler ses aspiration­s de midinette, Viv enchaîne les garçons comme d’autres les tubes, à ceci près que la satisfacti­on égotique n’est pas la même.

Viv est tout sauf une groupie amatrice de coups d’une nuit à épingler sur le mur des souvenirs comme des trophées de chasse. Non, cette romantique hard recherche le grand amour, qu’elle ne trouve pas vraiment dans les bras de Sid Vicious, Johnny Rotten ou Mick Jones des Clash. Cette quête du Graal phallique est longue avant qu’un motard ne surgisse une

nuit de fête, telle une apparition à la Brando, beau, sexy et jouable… Un mariage et une fille plus tard, voici Viv reprenant des études d’art, travaillan­t sur des documentai­res pour la télévision anglaise, puis prof d’aérobic en pleine vague Jane Fonda avec body à strass. Il faut bien vivre. Son livre de souvenirs, De fringues, de musique et de mecs, est un très bon témoignage de ce que furent les années 1970-1980 en Angleterre. Sincère, cru, drôle, ce voyage au bout de la nuit punk trouve son rosebud final dans les retrouvail­les avec le paternel corse découvert, à moitié dingue, reclus dans un gourbi toulonnais rempli de détritus. Chapitre incandesce­nt où se consumera, en final bouleversa­nt, le lien de sang dans les flammes de l’incinérati­on.

On songe à ces vers de feu de Catherine Pozzi, les derniers que la poétesse composa avant de s’éteindre :

« Ô vous mes nuits, ô noires attendues /Ô pays fier, ô secrets obstinés/Ô longs regards, ô foudroyant­es nues/Ô vol permis outre les cieux fermés […]. » Ils figurent dans

Le Goût de la nuit, la précieuse anthologie concoctée par Maud Simonnot, qui nous fait naviguer les yeux grands ouverts pour une belle traversée nocturne parmi d’autres textes d’auteurs aimés. HHHHI De fringues, de musique et de mecs (Clothes, Clothes, Clothes. Music, Music, Music. Boys, Boys, Boys) par

Viv Albertine, traduit de l’anglais par Anatole Muchnik, 573 p., 10/18, 9,10 €. À noter aussi la parution de

À jeter sans ouvrir (Buchet-Chastel). HHHII Le Goût de la nuit, textes choisis et présentés par Maud Simonnot,

128 p., Mercure de France, 8 €

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