DES FROGGIES CHEZ LES BRITISH
L’ENTENTE CORDIALE
Entre la perfide Albion et l’Hexagone, il n’y a, au fond, qu’une affaire de Manche. La littérature est là pour nous le rappeler. Outre les auteurs britanniques plus ou moins installés au pays de Molière – tels Oscar Wilde ou, aujourd’hui, William Boyd, qui vit entre la Grande-Bretagne et la Dordogne [voir page 48] –, il faut également se souvenir de ces grandes plumes nationales qui, à un moment ou à un autre, ont choisi – bien avant l’exil du général de Gaulle – de partir pour la cité de Sa Majesté : Londres.
VIE ERRANTE ET SCANDALEUSE
Prenons le cas de Voltaire : en avril 1726, à la suite d’une altercation à la ComédieFrançaise avec le chevalier de Rohan, il se retrouve embastillé. La condition de sa libération ? L’exil. Âgé de 32 ans, il prit alors la direction de Londres, où il séjourna près de trois ans. Apprenant la langue locale et rencontrant bien des gens de lettres et des savants, Voltaire se mute en philosophe. On oublie souvent que ses Lettres anglaises, d’abord publiées à Londres en 1733, furent d’ailleurs en partie écrites directement en anglais. À peine élu à l’Académie française, Montesquieu entreprit, lui, un grand voyage en 1728 à travers le continent européen, qui le mènera en Angleterre (1729-1731). « [Elle] est à présent le plus libre pays qui soit au monde », écrira-t-il en 1732, dans ses Notes sur l’Angleterre. Plus pragmatique, il ajoutera aussi : « Il n’y a rien de si affreux que les rues de Londres »… Fuyant la Révolution française, Chateaubriand débarqua dans cette ville en mai 1793. Et c’est en Angleterre qu’il s’attela à son Essai historique, politique et moral sur les révolutions anciennes et modernes.
Un séjour qui en amènera d’autres dans les décennies qui suivirent.
En 1862, Stéphane Mallarmé n’avait publié que quelques poèmes dans différentes revues quand il décida de suivre une jeune gouvernante allemande, et de s’installer avec elle à Londres – il l’épousera le 10 août 1863. Durant son séjour d’un an et demi, il devint professeur d’anglais, avec notamment Henri Barbusse comme élève. Une dizaine d’années plus tard, Jules Vallès et Paul Verlaine arrivent aussi sur les lieux. Le premier, fondateur du journal Le Cri du peuple et condamné à mort pour avoir activement participé à la Commune de Paris, trouve refuge à Londres jusqu’en 1880. Devenu correspondant de presse, il écrivit des articles rassemblés plus tard sous le titre La Rue à Londres, faisant état de sa fascination pour les docks, les bas-fonds, ou encore la halle aux poissons de Billingsgate. Quant à Verlaine, c’est avec Rimbaud qu’il passa quelque temps dans la capitale britannique, durant leurs mois de vie errante et scandaleuse, séjournant à Howland Street et Camden Town. Lourdement condamné pour la publication de J’accuse… !, Émile Zola quitta quant à lui l’Hexagone en toute hâte, seul et sans effets personnels. Il arriva à Londres le 18 juillet 1898, pour un exil de onze mois, durant lequel il achèvera Fécondité – le premier volume des Quatre Évangiles.
Beaucoup plus mondain, Paul Morand se retrouva attaché à l’ambassade de France durant l’année 1913, où il passa nombre de ses soirées dans les théâtres, les dîners les plus chics et profita des multiples activités qu’offre Piccadilly Circus. Il y retournera en 1939, cette fois-ci en tant que directeur de la mission française de guerre économique.
La guerre, encore et toujours, avec LouisFerdinand Céline – alors encore Destouches. Blessé dès les premiers combats en 1914, et réformé, il fut affecté au service des visas du consulat français en Angleterre. Des passages entiers de Voyage au bout de la nuit (1932) et de Guignol’s band (1944) témoignent de la nostalgie des quartiers jadis hantés – Trafalgar, St Martin, Hyde Park et le port. Comme Mallarmé avant lui, il se maria d’ailleurs à Londres, en janvier 1916. Et nul doute que ce satané Céline aurait fait une lecture très particulière d’une chanson comme All You Need Is Love…