LE BESTIAIRE DE CAROLINE LAMARCHE
Chats, oiseaux, chevaux et autres fourmis sont les miroirs reflétant les qualités et défauts des humains, au fil des neuf contes animaliers de la romancière et nouvelliste belge Caroline Lamarche.
Ce sont parfois les échos avec d’autres espèces qui déterminent les comportements humains. Et les relativisent, comme pour mieux nous rappeler notre part animale et, inversement, une forme d’humanité chez certaines bêtes. Tel est l’un des axes de Nous sommes à la lisière, titre du beau recueil de nouvelles de Caroline Lamarche. Voyez le cas de l’imprévisible cane Frou-Frou, avec son aile brisée, « miroir » des pensées de la narratrice, autre « oiseau solitaire » qui s’occupe tendrement de l’animal. Le cri du merle Merlin, qui semble prisonnier des branches, trouble une autre femme, également interloquée par le chant des martinets, un couple de libellules et deux chats blancs. Alors que le matou Tish – comprenez « shit » à l’envers – vit, lui, en compagnie de ses deux maîtresses dans un garage désaffecté transformé en squat. Mais le félin saura s’adapter à d’autres décors…
CONTES CRUELS
Quant au hérisson Ulysse, « Menacé par d’aveugles bolides », il réussit à s’enfuir, « échappant même aux piétons incapables de le saisir sans s’écorcher les mains ». Ailleurs, le travail titanesque des fourmis Lin, Clet, Clément, Sixte, Corneille et Cyprien passe quelque peu inaperçu aux yeux d’une poignée d’enfants saccageant la fourmilière…
Ces neuf petits contes cruels illustrent parfaitement toute la finesse de l’auteure belge, qui n’a pas son pareil pour trouver des parallèles inattendus et jamais démonstratifs. Les brefs chemins narratifs de ses histoires sont toujours à la fois tortueux et limpides, portés par une écriture dégraissée de tout effet et se permettant quelques clins d’oeil littéraires (Joyce en tête). Si Caroline Lamarche sait mettre en lumière la solitude, la cruauté et l’hypocrisie des individus, elle s’avère particulièrement brillante dès qu’il est question du deuil et de la mort – cette autre lisière. La Faucheuse prend ici les traits d’un cheval décédé nommé Mensonge, d’un cadavre de rat ou d’un écureuil roux du Green-Wood Cemetery, héros malgré lui de la dernière nouvelle, qui se termine sur ces mots, résumant le credo de cette nouvelliste brillante : « Les gens […] ne croient plus en l’avenir. Mais bien en l’imagination, d’où naissent les plus folles histoires. Ses histoires à elle […] n’inventent pas d’autres mondes. Pas d’autres amours non plus. Il leur suffit d’être complices de quelques vies sauvages. »