Coups de jaune
Parmi tous les ouvrages autour du mouvement social, qui perdure depuis l’automne dernier, Crépuscule de Juan Branco et Jojo, le Gilet jaune de Danièle Sallenave sont devenus deux véritables phénomènes de librairie.
Le mouvement et ses revendications sociales ont trouvé une résonance dans de très nombreux livres
Si les Gilets jaunes sont sortis dans la rue et sur les ronds-points, force est de constater qu’ils ont aussi trouvé un espace dans des lieux un peu plus inattendus : les librairies. En effet, après six mois de mobilisation, le mouvement et ses diverses revendications sociales ont trouvé une résonance dans de très nombreux livres, parus dans la foulée. Il suffit de se rendre sur un célèbre site de vente en ligne et de taper « Gilets jaunes » dans la rubrique « livres en français » pour découvrir des dizaines d’ouvrages, en grande partie autoédités et très divers dans leur fond comme dans leur approche. Entre essais, récits, témoignages et objets plus insolites – tel cet improbable opus érotique signé Vanessa Desirius, et intitulé Partagée par les Gilets jaunes…
Jusqu’à présent, l’édition dite « traditionnelle » nous a surtout proposé des analyses de chercheurs ou d’« experts ». Citons Le fond de l’air est jaune (Seuil), réunissant, entre autres, Étienne Balibar, Ludivine
Bantigny, Louis Chauvel, David Graeber, Thomas Piketty, Michelle Zancarini-Fournel, et La Victoire des vaincus. À propos des Gilets jaunes (La Découverte) d’Edwy Plenel. Ces deux titres étaient alors les meilleures ventes « jaunes » – écoulés respectivement, si l’on en croit Edistat, à 7 000 et à 9 000 exemplaires fin avril. Mais deux autres ouvrages, parus au printemps, ont modifié la donne et reçu un accueil sans aucune mesure : Crépuscule de Juan Branco (Au diable vauvert/ Massot) et Jojo, le Gilet jaune de l’académicienne Danièle Sallenave (Gallimard/Tracts). Véritable brûlot contre « la captation de la démocratie par les oligarques » , amis d’Emmanuel Macron, Crépuscule avait d’abord été diffusé sur Internet avant Noël. Ce qui permit à son jeune auteur, un normalien de 29 ans, devenu, depuis, avocat de Maxime Nicolle (l’un des leaders du mouvement), d’acquérir une grande aura sur les réseaux sociaux. Et d’agréger les publics : « Il s’agit à la fois de gens qui suivent Branco depuis longtemps et de
clients qui n’ont pas l’habitude d’acheter des livres engagés », témoigne-t-on, à la librairie La Vie devant soi (Nantes). Et les points de ventes ? « Une forte proportion de Gilets jaunes ne va pas en librairie mais plutôt sur Amazon… » , constate, avec une pointe de regret, Marion Mazauric, coéditrice de Crépuscule. Les différentes apparitions, conférences ou interventions de Branco déplacent souvent jusqu’à 400 personnes, parmi lesquelles elle remarque « un mélange de grands lecteurs des classes moyennes et d’un public populaire qui lit moins. Mais aussi beaucoup de jeunes étudiants, surtout des filles. Viennent ensuite des quinquagénaires plus éduqués politiquement, des vieux rockers, des anarchistes, des communistes, avec, bien sûr, des Gilets jaunes engagés et de tout bord » . À ces caractéristiques, il convient d’ajouter un effet anti-Macron, largement commenté par les médias…
DES ÉCHOS INATTENDUS
Il est des villes où « la convergence des luttes se retrouve dans la rue, mais aussi sur les tables des libraires », comme le souligne le responsable du rayon Essais chez Maupetit (Marseille). Dans la cité phocéenne, les événements locaux ajoutent à la toile de fond contestataire, qui joue aussi en faveur de Jojo, le Gilet jaune, texte de témoignage et de revendication d’à peine 50 pages. Elle aussi normalienne, agrégée de lettres devenue académicienne, Danièle Sallenave n’angélise pas les débordements, ni certaines ambiguïtés de ce mouvement social inédit. Mais elle refuse de répéter des erreurs vues lors de Mai-68, à savoir une séparation entre les élites politiques et la rue (ou les ronds-points). Alban Cerisier, directeur éditorial de la collection « Tracts » chez Gallimard, a constaté des « échos inattendus : le style et l’expérience de Danièle Sallenave ont touché des lecteurs qui ne faisaient pas nécessairement partie de son lectorat traditionnel. Cela prouve une proximité sociale, et ne relève pas de l’expert mais, au contraire, de la sensibilité ».
Sensibilité : le mot revient chez bien des libraires, qui nous ont confirmé que ces deux livres étaient « les deux seuls qui marchent sur la question ».
La raison du succès ?