Lucía Puenzo*
« Un grand pourcentage de la classe moyenne est tombée dans la pauvreté »
« J ’ ai d’abord écrit une version courte des Invisibles en 2001, quand l’Argentine vivait une crise similaire à celle que nous traversons aujourd’hui, avec tant de familles et d’enfants vivant dans les rues ou dans les gares. À l’époque, j’étais étudiante en cinéma et, dans le cadre d’un cours, nous avions réalisé un court-métrage avec deux de ces enfants, Ajo et Ismaël, âgés de 14 et 15 ans, qui sont ensuite devenus nos amis. Presque dix ans plus tard, j’ai lu un petit article : en été, la police aidait des enfants à traverser illégalement le Delta qui sépare l’Uruguay de l’Argentine. Cette histoire, liée à celle d’Ajo et Ismael, est devenue un roman. Trop de familles vivent encore dans la rue, en Argentine et en Amérique du Sud. Je me souviendrai toujours des paroles d’Ajo lors de notre première rencontre : “Vous savez ce qui est le plus difficile ? Tous ces gens qui ne vous regardent même pas”
Le néolibéralisme sauvage que nous vivons avec Macri est cruel [Mauricio Macri est le président depuis 2015, et représente la droite]. Tant de gens ne mangent qu’une fois par jour et ne peuvent plus payer leurs besoins de base : gaz, médicaments, assurance maladie. Vous savez probablement qu’un grand pourcentage de la classe moyenne est tombée dans la pauvreté. Notre pays a été dévasté au cours des
dernières années, à bien des égards. Je suis avec stupéfaction et admiration le mouvement des Foulards verts [ manifestations de femmes pro- avortement qui ne cessent de grandir depuis 2017, dans un pays où avorter reste illégal]. Ces filles, ces femmes, ont inventé des chansons et des symboles avec tant de créativité, de force et de détermination. Je pense que beaucoup n’ont pas vu venir ce mouvement et que, dorénavant, il va rester.