Bernard, le redresseur de torts
La passion contrariée d’Héloïse et Abélard a éclipsé le troisième protagoniste de leur histoire : le cistercien Bernard. Georges Minois revient sur ce triangle – pas vraiment – amoureux.
La belle Héloïse était amoureuse de son précepteur Abélard. Ce dernier a été châtré après leurs ébats interdits, et chacun s’est retrouvé à la tête de son monastère. Voilà peu ou prou ce que l’on sait des célèbres amants du xiie siècle. L’historien Georges Minois dépoussière les archives pour faire éclore leur véritable histoire, dans Abélard, Héloïse
et Bernard. Le livre prend une allure de triptyque, avec un premier focus sur Abélard, un second sur Héloïse et un troisième sur Bernard, abbé rongé par la haine qu’il vouait aux époux déchirés. Dans les deux premières parties, les clichés volent en éclats. Le professeur énamouré apparaît comme un arrogant, sûr que « toutes les femmes se pâment devant lui ». Héloïse, elle, est dépeinte comme une sensuelle invétérée. Bernard est leur antagoniste, le chantre « du type de monachisme le plus austère » . Il hait la science, conspue le Cantique des cantiques et garde un oeil acrimonieux sur l’abbesse du Paraclet, qu’il visite pour s’assurer de la bonne gestion de son couvent. Héloïse est inattaquable, bien qu’elle ne cesse de harasser son ancien amant de lettres, où se mêlent questions religieuses et sous-entendus explicites.
S’il ne peut avoir l’une, l’abbé de Clairvaux aura l’autre. Il s’attaque aux écrits disruptifs d’Abélard, plus gourou philosophique que théologien. Il le fait condamner pour hérésie. En analysant ces « trois individus, trois solitudes, trois utopies », Georges Minois emmène son lecteur dans les arcanes d’un monde monacal obscur et moderne. Le romantisme mièvre est remplacé par des extraits de lettres d’époque. Les protagonistes sont les trois guides d’un voyage médiéval où le besoin d’amour, les brasiers de la haine et la soif de reconnaissance se mettent en abyme avec nos préoccupations actuelles. Abélard, Héloïse et Bernard. Passion, raison et religion au Moyen Âge, par Georges Minois, 432 p., Perrin, 23 €