DE LA MUSIQUE AVANT TOUTE CHOSE
Dans Les Furtifs, le travail sur la langue et le rythme est absolument renversant. Visuellement, d’abord, grâce à la typoésie, un procédé fondé sur l’utilisation libre de la ponctuation, de signes diacritiques ou calligraphiques, qui confère à certains passages des allures de partitions musicales. Stylistiquement, ensuite, Damasio explose tous les codes, jouant avec les mots, leurs sens, leurs sons, ajoutant des termes étrangers, des néologismes. La syntaxe est mouvante, claironnante, la langue est cinétique, poétique, le tout absolument maîtrisé pour une expérience de lecture unique. Morceaux choisis :
« Le mot ville prend deux ailes/L’r de rien et l’o de là/pris dans un violent courant d’art/ ton vide n’a pas pris une ride » « C’est ici que se tient la bibliothèque sans rayonnage et sans livre des êtres qui ne savent écrire qu’en mouvement et pour qui écrire mêm est inséparable d’un acte physique, inséparable d’un corps qui crayonne avec ses os, du bout d’un fémur cassé comme une craie. C’est ici qu’ils inscrivent leurs sensations de la pointe d’un bec-ciseau dont le o tracé est indissociable du coup de tête circulaire qui fait cycle […]. » « Les marteaux dansant comme un rire qui hésite et s’abat, rebondit et s’élève tandis que le gong tonne et plombe, plonge et obombre cette clarté fascinante des lames qui hachent la vitalité de l’aigu. » « Arshave tonne en mode schlague, sec en salive. Il prend le retard de Lorca pour une provoc personnelle. Vu sa gueule confite, le boludo Lorca s’en veut. Assez pour ne plus moufeter du brief, si tant est que ce soit le genre. Je sniffe chez lui une envie, plutôt, d’apprendre. Un versant buvard plus que bavard, plus que frimasse. Sorti chasseur à 43 piges, commac se refaire un corps desde la nada, tout en tonus, en giclant la graisse. Se coltiner les jeunes pendejos, pour finalement choper au gong un furtif dans le cube, juste à la frissonnade, juste au vibré… » « Et notre fanfare a entamé la guerre, mettant littéralement l’avenue à feu età son ! » La bande originale du livre, composée par le guitariste Yan Péchin, offre par ailleurs un prolongement précieux à l’univers de l’auteur, qui voulait ainsi « faire entendre l’écriture, l’incarner dans ses vibrations », en résonance intime avec son texte et sa voix.
Entrez dans la couleur (Jarring Effects)