Courtoisie et élégance
Dans un style allègre, et de manière légère, l’historien et sociologue Alain Viala revient avec subtilité sur l’histoire de la galanterie en France.
Avant Alain Viala, l’histoire culturelle était un exercice ennuyeux : reconstituer, à une époque donnée, ce que les gens ont dans la tête, leurs valeurs, leurs représentations. À ces « blocs » bien solides, Viala préfère le léger, le subtil. Aux choses bien déterminées qui fondent une culture, il choisit les spectres qui la hantent. Ainsi de la galanterie française, ce je-ne-sais-quoi entre les sexes qui disparaît à peine esquissé, il évoque l’ébauche d’un geste, une porte qu’on retient, un hanchement, une hésitation. En faire l’histoire totale sur trois siècles semblait une gageure, tant le terme est polysémique et ses usages pluriels.
OBJET DE FASCINATION CONTRADICTOIRE
Depuis son invention en 1650, la galanterie sert autant à compenser l’inégalité des sexes qu’à la renforcer, faisant de la femme une reine-esclave. Mais la morale ne dit pas tout d’un mot dont les résonances sont également politiques et esthétiques. Figure gracieuse du pouvoir sous Louis XIV, stigmate de la débauche sous la Restauration, nostalgie d’un monde révolu dans la bohème artistique, dernier bastion du machisme après Mai-68, la galanterie est un objet de fascination souvent contradictoire, dont l’auteur montre les multiples rémanences contemporaines. Car ce qui est devenu un mythe national se conjugue au passé depuis la révolution de juillet (1830), quand le galant est devenu le mot d’un rêve, la frange dorée d’un crépuscule qui parle de fête, de plaisir, d’une osmose sociale disparue à jamais. Dans ce demisommeil, apparaissent les tableaux d’Antoine Watteau, les poèmes de Paul Verlaine, les films de René Clair. Malgré le risque d’éparpillement, cet essai convainc et ravit par son style allègre et sa capacité à parler de choses si essentielles – l’art, l’amour, la politique des sexes – à partir d’une figure aussi instable. Voir de plus près ce qui hante la France, écrit Viala, « dira un peu plus qui elle est » . Vrai.